Pourquoi parler de décision stratégique, un sujet rebattu maintes et maintes fois.
D’abord parce que j’accompagne de nombreux CODIR dans la perspective de les faire monter en puissance sur la décision stratégique. Les membres des CODIR me tiennent tous le même discours : on passe notre temps à parler de sujets opérationnels sans intérêt (sauf pour celui qui le présente), à nourrir des tableaux de bord et à écouter la bonne parole du chef sur la nécessité d’améliorer les résultats. On s’ennuie à mourir dans les CODIR !
Récemment j’ai travaillé avec un dirigeant (lucide) qui m’a demandé d’accompagner son COMEX et son CODIR en vue d’inverser la tendance : de 90% de temps passé sur des sujets opérationnels pour 10% sur des sujets stratégiques, l’objectifs était d’arriver au moins à 50/50.
Donc je me suis attelé à la tâche, convaincu que mon client (et moi aussi au passage) était au clair avec la notion de décision stratégique. Et puis, ne voilà-t-il pas qu’il me pose une colle.
LUI : « Qu’entendez-vous exactement par sujet ou décision stratégique… ? »
MOI : « et ben euh…c’est un sujet ou une décision qui ne relève pas de l’opérationnel mais d’une décision des instances de gouvernance ». (Vous noterez au passage la belle tautologie. Un sujet est stratégique parce qu’il est débattu en comité de direction).
LUI : « j’entends bien mais qu’est-ce qui distingue un sujet stratégique d’un sujet opérationnel ? Comment allons-nous faire la distinction ? »
MOI (embarrassé) « c’est un sujet qui engage l’entreprise dans son ensemble et donc pas un sujet qui peut être traité par un service en particulier et en toute autonomie »
LUI : « donc, si je vous suis bien, la décision de fêter l’anniversaire de chacun des salariés dans l’entreprise est un sujet stratégique puisqu’il impacte tout le monde ? »
Et PAF ! …
MOI : (encore plus embarrassé) : « euh ! écoutez, je vous précise tout ça dans ma proposition, on fait comme ça ? »
J’étais assez peu fier de moi au sortir de ce premier rendez-vous et j’ai eu un doute soudain. Quels sont les critères qui permettent de définir ce qu’est une décision stratégique ? Ce qui me semblait évident m’est apparu soudainement très flou.
Donc, j’ai (re)plongé dans la littérature sur le management stratégique. Et là, autre déconvenue… Aucune définition ne me semblait vraiment pertinente (et souvent très proche de la tautologie citée plus haut). Alors j’en ai inventé une.
Les 4 facteurs clefs pour distinguer une décision stratégique d’une décision opérationnelle
1- Le long terme
- Les décisions (sujet ou projets) stratégiques engagent l’entreprise sur le moyen/long terme
2- Le changement
- Les décisions stratégiques génèrent généralement des changements importants dans les objectifs et l’organisation.
- Elles comportent donc un niveau d’incertitude et de risque plus important qu’une décision opérationnelle.
3- La globalité ou la transversalité
- Les décisions stratégiques engagent généralement la globalité des activités de l’entreprise.
- Elles ne sont pas locales (un service, un secteur, une fonction). Les décisions locales peuvent être prises par le responsable de l’activité en question.
- Attention cependant car une décision locale peut avoir des impacts sur le fonctionnement global de l’entreprise.
4- L’investissement
- Les décisions stratégiques nécessitent souvent des investissements plus ou moins importants et donc une réflexion approfondie sur leur ROI.
Moralité
- Si vous répondez oui aux 4 caractéristiques, votre sujet est stratégique.
- Si vous répondez non aux 4 caractéristiques votre sujet relève de l’opérationnel et n’est pas digne d’être débattu lors de votre CODIR.
Donc l’anniversaire des collaborateurs n’est pas un sujet stratégique digne d’être débattu au CODIR.
D’autres facteurs de différenciation
- Les décisions opérationnelles sont nourries par des données d’entrée (INPUT) internes (par exemple des indicateurs de performance, de qualité, de délais…). C’est un process de décision que je qualifierais d’introverti et centré sur l’existant.
- Les décisions stratégiques sont souvent nourries par des données d’entrée (INPUT) externes (données issues de l’environnement). C’est un process de décision que je qualifierais d’extraverti et centré sur le futur.
- Les décisions stratégiques relèvent plus d’une analyse prospective du futur que d’une analyse factuelle de l’existant. Elles nécessitent donc de la part de ceux qui les produisent une acuité particulière et une pertinence d’analyse des mouvements de leur environnement (politique, règlementaire, sociétale, économique, technologique) et de l’évolution des besoins des clients.
Au final, le modèle a été testé avec les deux équipes (COMEX et CODIR). Résultat des courses, ça fonctionne très bien. Cette réflexion a permis de sortir des réunions une foule de sujets n’ayant que peu de plus-value. Mais aussi de recentrer les débats sur des sujets plus au niveau de décision attendu de ces deux instances. Par exemple, dans le CODIR, chaque non-conformité client du mois était présentée et le CODIR devait trouver des actions de prévention pour chacune d’entre elles. Ce type de décision relève maintenant de réunions spécifiques entre la qualité, le commerce et la production. Dans le cadre du CODIR, seules les non-conformités les plus importantes sont évoquées en même temps que les actions préventives adoptées. On y passe donc beaucoup moins de temps.
Cependant la démarche n’a pas été adoptée sans quelques tiraillements : certains égos se sont manifestement sentis un peu écorchés (c’est inévitable). Par exemple le responsable qualité avait pour habitude de présenter systématiquement au CODIR, les conclusions des revues de processus dans le cadre de la démarche QSE. Les conclusions de ces revues étaient par ailleurs communiquées à tous les dirigeants. Donc redondance et longueur… Exit la partie revue de process QSE et le responsable qualité devra désormais se contenter d’une information concise sur les « points chauds » du moment.
Pour autant certains sujets ont été positionnés au milieu des 4 axes. Pas complètement stratégiques et pas complètement opérationnels non plus. Pour ces sujets, libre au CODIR de décider de les aborder ou pas. Mais dans tous les cas et si le sujet n’est pas abordé, le CODIR doit dire clairement qui les prend en charge et ce qu’il attend sur ces sujets.