La responsabilisation, un terme qui revient avec force sur le devant de la scène managériale. Si les démarches visant à responsabiliser les équipes ne sont pas nouvelles, pourquoi observe-t-on un regain d’intérêt aujourd’hui ? Dans un monde du travail en pleine mutation, marqué par l’émergence de nouvelles attentes des collaborateurs, la responsabilisation apparaît comme une réponse pertinente aux défis contemporains : quête de sens, autonomie, engagement et bien-être au travail. Cet article se propose d’explorer les raisons de ce retour en force, à travers des cas concrets et des analyses éclairantes.
Selon nous, il n’existe pas de réponse unique à cette question mais un faisceau de réponses possibles. Donner plus d’autonomie aux équipes et un plus grand pouvoir de décision sont de vielles ambitions. Mais le contexte économique et social revitalise cette idée selon laquelle l’engagement des salariés est plus grand dès qu’on leur donne plus d’autonomie et de pouvoir de décision.
Pour aller plus loin sur le sujet :
Les industries de services s’emparent de la responsabilisation
Si l’on connait bien aujourd’hui les démarches de responsabilisation mises en œuvre depuis des années dans l’industrie (Michelin, Valéo…), les entreprises de services ont adopté ces démarches plus tardivement. Les industries sortaient dans les années 80 de 60 ans de taylorisme, de toyotisme et de Lean management. Ces méthodes ont vraisemblablement essoré la motivation et l’engagement des salariés. Et cela à une époque où la France voit disparaître petit à petit son outil industriel et où travailler dans une usine n’est plus un rêve de carrière pour de nombreux cadres et ingénieurs. Même si le Lean et le toyotisme consacrent la participation des employés, le mindset est différent de celui d’aujourd’hui.
On parle alors plus de participation que de responsabilisation. Cette relative autonomie de décision est très encadrée dans des lignes hiérarchiques à plusieurs niveaux et des process très stricts. Dans les entreprises de services, moins processées, la revendication de plus d’autonomie était moindre vraisemblablement parce que les salariés en avaient déjà gagné une part. Les démarches de responsabilisation reviennent au-devant de la scène parce que les entreprises de services qui font l’actualité, s’en emparent depuis une dizaine d’années.
Responsabilisation et entreprises libérées : une influence qui ne fait pas de doute
Même si tous ne se reconnaissent pas dans cette appellation, il n’en demeure pas moins que toute la littérature autour des entreprises libérées, de Getz à Laloux (pour ne citer que les plus influents) a eu un retentissement considérable dans les directions d’entreprises. Depuis quelques années la plupart d’entre elles ont tenté d’en mettre en pratique les préceptes.
La Covid-19 : un accélérateur de responsabilisation
La COVID et l’apparition de nouvelles formes de travail comme le management à distance et le management hybride, ont certainement boosté la demande d’un management différent. Un management davantage fondé sur la confiance et la liberté d’action, qui confère plus d’autonomie aux équipes.
Une demande générationnelle
Les jeunes générations qui intègrent le monde du travail ne se satisfont plus d’un modèle de manager contrôlant et commandant et attendent un environnement de travail plus épanouissant impliquant de prendre des responsabilités. Ils souhaitent être plus associés aux décisions et avoir des managers qui leur fassent confiance.
Les structures de l’économie sociale et solidaire : des modèles de responsabilisation à suivre de près
On peut regarder du côté des entreprises de services à la personne (SAAP) qui se mobilisent aujourd’hui sur la responsabilisation des équipes pour revaloriser un métier essentiel mais peu reconnu et le rendre plus attractif. A ce sujet, il est intéressant de regarder du côté du Conseil Départemental du Nord avec le soutien d’AG2R. Ce dernier a financé un projet en direction des entreprises de services à la personne en 2020. L’objectif, accompagner une transformation managériale vers des équipes autonomes.
Une demande de plus en plus forte de bien-être au travail
C’est un paradoxe, mais la demande de plus de bien-être au travail augmente au même rythme que le mal-être. “Tous les indicateurs de santé mentale au travail que nous mesurons depuis 2020 se dégradent “, déplore Christophe Nguyen, fondateur d’Empreinte Humaine dans un article paru dans les Echos en novembre 2023. La responsabilisation des équipes semble dans ce contexte, être une réponse possible à la demande de plus de bien-être au travail à deux conditions. D’abord qu’elle se fonde sur une relation de confiance entre le manager et son équipe, puis sur une posture de management assurant aux salariés un environnement de travail sécurisant dans lequel chacun pourra exprimer librement ses opinions sans crainte. Ce que Amy C. Edmondson nomme la “sécurité psychologique“ dans son ouvrage “The Fearless Organization”.
L’intelligence collective, socle de la responsabilisation dans un monde complexe
La responsabilisation des équipes intègre totalement l’idée que, dans un monde VUCA, les individus seuls ne peuvent plus faire face à la complexité grandissante des organisations et de leur écosystème. Nous entrons dans l’ère de la co-construction des décisions entre le manager et son équipe. “La co-construction est la seule voie raisonnable dans un monde aussi complexe qu’aujourd’hui”, indique Pierre-Alexandre Anstett, directeur du personnel France et Europe du Sud de Michelin. Mais pour cela, il doit avoir “la sagesse de reconnaître qu’il ne sait pas tout et que la complexité n’est pas accessible à un individu seul”.
La responsabilisation, quelle finalité ?
Si les démarches de responsabilisation des années 1990/2000 avaient pour finalité une amélioration de la performance et de la productivité industrielles, elles ont aujourd’hui une tout autre finalité : améliorer le bien-être au travail. La plupart des témoignages d’entreprises ayant mis en place de telles démarches convergent vers le même constat. On ne note pas d’améliorations significatives de la performance et de la productivité (d’autant que l’accompagnement de la démarche a nécessité des investissements) mais un net impact sur les dimensions humaines et sociales : réduction des conflits, réduction du turn-over, meilleures satisfactions des salariés, amélioration de l’engagement, meilleures relations avec les clients et les usagers, etc.
La responsabilisation n’est donc pas une tendance passagère, mais bien une transformation de fond dans les pratiques managériales. En plaçant la confiance, l’autonomie et l’engagement des équipes au cœur des préoccupations, les entreprises se donnent les moyens de répondre aux défis actuels tout en cultivant un climat de travail positif. Pour autant, cette démarche doit être accompagnée d’un cadre sécurisant et d’un management bienveillant pour en révéler tout le potentiel. Finalement, la responsabilisation, loin d’être une fin en soi, est un levier stratégique pour bâtir les organisations agiles et résilientes de demain.
Frédéric Botter – Consultant formateur, responsable de projet Cinaps.