Le début d’année est souvent propice à de l’introspection sur l’année écoulée. J’ai donc dressé un bilan des formations que j’ai animées en 2023 : temps forts, apprentissages sur le plan humain, contextes, outils, pédagogie… Une chose m’a particulièrement marquée : la pression au travail liée au « sois parfait » que ressentent les managers.
Quelles sont les nouvelles sources de pression au travail apparues ces dernières années ? Comment nous, consultants formateurs ou organismes de formation, risquons de contribuer sans le vouloir, à alimenter cette pression au travail ? Enfin, quelles sont les pistes pour l’alléger ?
Des intitulés de programmes de formation parfois sources de pression au travail
Souvenir d’une animation en entreprise sur le courage managérial
Lors du tour de table de présentation, le premier participant à prendre la parole déclare en toute sincérité : «Je vis mal d’avoir été inscrit à cette formation du fait de son intitulé Courage Managérial. Ça veut dire quoi ? Que je n’en ai pas ? Surtout qu’on a déjà suivi ensemble Manager bienveillant, Manager coach, développer son leadership. On nous en demande toujours plus à nous, managers. J’ai le sentiment de n’avoir aucun droit à l’erreur lorsque je parle à mes collaborateurs. Eux oui et c’est à nous de nous adapter. Je me sens presque constamment sous pression lorsque je travaille».
Un autre de surenchérir : «Sans compter la pression de l’atteinte des objectifs, d’une croissance du CA chaque année plus importante… avec de moins en moins de collaborateurs».
Rien que le titre de cette formation générait chez les participants un sentiment d’insuffisance et créait de la pression au démarrage. Car faute de temps, ils n’avaient pas lu le programme, beaucoup plus pragmatique et accessible que le titre. Programme que j’ai adapté tout au long des 2 jours pour mieux répondre à leurs besoins.
Le mythe du manager super-héros
Même si ce n’est pas dit exactement comme ça, j’ai entendu cette année encore fréquemment des : «On nous en demande toujours plus», «Je dois être à la fois leader, coach, motivant, assertif, bienveillant, toujours garder le sourire… et faire mon boulot ! Comment échapper au sentiment de pression au travail dans ces conditions ?».
Parmi les formations managériales qui ont le vent en poupe, on peut citer « Développer son leadership », «Manager avec son intelligence émotionnelle », «Le manager porteur de sens», «Managers, apprenez à gérer votre stress et celui de votre équipe» (bonjour la pression ;) !), «Manager les nouvelles générations». Ces dernières années se sont ajoutés à la liste : «Manager une équipe hybride», «Manager les RPS» et plus récemment «Manager le quiet-quitting» (parce que c’est une nouvelle complexité à laquelle bon nombre fait face).
Finalement, des programmes souvent très chargés en outils, que chacun rêve de maîtriser en totalité et dès la fin de la session ! Et surtout, la manière dont sont présentés les concepts de ces formations, renvoie souvent à des idéaux irréalistes et inatteignables, entre autres : le mythe du manager/leader/coach parfait, ultra-polyvalent, toujours bienveillant et qui gère parfaitement ses émotions, quoi qu’il se passe. Dans ces conditions, il est effectivement difficile de ne pas se rajouter de la pression. Pression au travail qui a de nombreux effets négatifs sur la performance et sur la santé mentale : sentiment constant de ne pas être à la hauteur, insatisfaction au travail, impacts sur la prise de décision, stress chronique, burn-out…
Alors que les formations managériales ont pour objectif de les soutenir lorsqu’elles sont pragmatiques et adaptées.
Les injonctions paradoxales qui rajoutent de la pression !
Et comme si ça ne suffisait pas, la pression au travail augmente encore avec les injonctions paradoxales reçues, dont voici quelques exemples, entendus lors de mes animations et/ou coachings :
- «Soyez fermes mais pas d’écrit car ils risquent de se mettre en arrêt maladie»,
- «Soyez bienveillants mais imposez vos idées»,
- «Surtout ne parlez pas de recadrage lors de l’entretien mais il/elle doit comprendre que la prochaine fois il y aura sanction»,
- «Allez en réunion et soyez très présents sur le terrain avec vos équipes»,
- «Laissez vos équipes faire le boulot opérationnel mais dès qu’il en manque un, vous devez être capable de le remplacer (et c’est de plus en plus souvent qu’il en manque un… C’est aussi l’époque de la « grande démission»).
Quelles solutions pour faire baisser la pression au travail ?
Sans tomber dans l’injonction «faites tout ça et vous serez parfaits», voici quelques solutions pour vous aider à diminuer la pression au travail.
Reconnaître et accepter ses limites personnelles
Pour gérer la pression au travail de manière saine et efficace, une première piste consiste à reconnaître et accepter ses limites personnelles. Voire être capable d’auto-dérision, et de rire de soi avec des collègues bienveillants qui ont aussi cette capacité.
Chez Cinaps, nous sommes tous convaincus qu’il est plus efficace, utile et sécurisant de capitaliser sur ses points forts, plutôt que de vouloir à tout prix gommer ses faiblesses.
Cela implique de bien se connaître et de donner ensuite à nos interlocuteurs des clés de lecture sur notre mode de fonctionnement : nos préférences en matière de communication, d’organisation, ce qui nous motive, nos valeurs, ce qui peut nous faire partir en vrille…
Lors de nos formations, nous proposons systématiquement des ateliers pour développer cette connaissance de soi et de ses points forts. Et inviter au lâcher-prise, à l’acceptation des imperfections. En créant les conditions de la confiance, j’incite aussi les participants à partager leurs expériences d’erreurs et lacunes. Ils arrivent souvent à la conclusion que cela a des effets positifs pour l’équipe et l’organisation. Que se montrer eux-mêmes/elles-mêmes imparfait(e)s fait baisser le niveau de pression au travail. Je relate d’ailleurs aussi quelques anecdotes sur mes erreurs lors de mon passé de manager.
Définir une approche réaliste du développement de ses compétences
Bien sûr, nous proposons aussi une panoplie d’outils, en répétant tout au long de la session : «Si vous prenez un ou 2 trucs c’est ok» ou «Tout ne vous intéressera pas, c’est normal». Nous nous posons régulièrement la question de proposer des choses accessibles et directement opérationnelles. De consacrer du temps au développement de compétences réalistes, notamment en matière de communication et d’assertivité.
La manière dont nous abordons la gestion des émotions déculpabilise beaucoup d’entre eux : il est totalement irréaliste de viser une gestion parfaite des émotions. Avant de pouvoir s’adresser à quelqu’un en ayant une maîtrise relative, il convient de savoir prendre du recul, un temps de dépollution qui consiste entre autres à accepter tous les jugements qui nous traversent. Nous ne sommes pas des robots et heureusement. Ça me fait penser à un spectacle de tango amateur auquel j’ai récemment assisté : une maîtrise technique parfaite, mais aucune émotion. Je me suis ennuyée et aurais de loin préféré quelques faux pas et ressentir de l’émotion. L’attente d’une maîtrise totale peut aussi mener à une suppression malsaine des émotions. Or, nos émotions sont ultra-précieuses, elles nous indiquent nos besoins satisfaits comme insatisfaits.
Si vous souhaitez aller plus loin sur le sujet des émotions – mais sans pression évidemment – découvrez notre article “Mieux comprendre votre cerveau pour gagner en intelligence émotionnelle”.
Miser sur l’intelligence collective
Nous incluons systématiquement dans nos formations l’expérimentation de modalités d’intelligence collective : co-développement, coaching entre pairs sous diverses formes, lean coffee…
Car nous avons conscience de la solitude du manager, encore plus quand sa prise de fonction n’a pas été accompagnée, car on considère qu’étant un «bon expert», il saura faire. C’est malheureusement souvent loin d’être le cas et ça n’a rien à voir avec les capacités dudit manager. Même lorsque c’est un choix et que la posture est déjà bien incarnée, il n’est pas simple d’avoir du recul sur ses missions et challenges. Et de ne pas ressentir cette pression au travail.
Pourquoi les modalités d’intelligence collective que nous animons font un carton ? Parce qu’au-delà de l’ouverture du champ des possibles, des plans d’action concrets qui en ressortent, c’est le sentiment d’être compris qui rebooste les managers. Cela leur donne souvent l’élan de développer des communautés de pairs au sein de leurs entreprises et de proposer ces modalités à leurs équipes. Ainsi, tout ne repose pas sur le manager, mais petit à petit sur un collectif, chacun pouvant valoriser ses points forts et se responsabiliser.
Ce qui aide les managers à lâcher prise et à rétablir / maintenir un équilibre vie professionnelle – vie privée.
Et si nous développions une culture où règne la sécurité psychologique ?
La pression au travail subie par les managers existera toujours, nous avons vu qu’il existe des moyens de la limiter, par des prises de conscience et par des pistes concrètes.
A mon sens, une des clefs principales pour diminuer la pression au travail est de développer une culture où règne la sécurité psychologique : c’est une valeur phare chez Cinaps !
* Lire aussi : Pourquoi la sécurité psychologique est clef ?
Et c’est, entre autres, ce qui m’anime profondément quand je forme ou coache des managers : créer les conditions de la confiance pour libérer la parole. Finalement, c’était un cadeau que ce manager exprime dès le démarrage de la formation son «trop plein de pression au travail». Un cadeau pour lui, car verbaliser ses émotions soulage. Un cadeau pour le groupe, qui a pu partager également son ressenti et ses expériences. Un cadeau pour moi, afin d’adapter dès le démarrage mon programme et ma pédagogie.
Nous avons donc un rôle important à jouer en tant que coachs, facilitateurs, formateurs, en faisant vivre aux managers ces moments de libre expression, de partages de pratiques et d’expériences bienveillants, au service du mieux-être et donc de l’efficacité.
Et en leur donnant l’élan d’en transposer une partie dans leur environnement professionnel.
Le fait d’apporter une sécurité psychologique favorise généralement le dialogue et la responsabilisation des collaborateurs. Ça permet de diminuer la pression au travail d’un côté, sans en ajouter de l’autre. D’aller vers plus d’équilibre, de bien-être et d’efficacité !
Barbara Buffet – Consultante et chef de projet Cinaps