Le 15/01/25
C’est bien beau de responsabiliser les équipes, mais encore faut-il avoir anticipé un tant soit peu les effets de la responsabilisation sur l’organisation. Car la responsabilisation des équipes est bien plus qu’une simple évolution managériale. Elle engendre des transformations profondes au sein des organisations, allant de la redéfinition des rôles à la refonte des processus décisionnels.
Dans un premier temps, nous verrons que cette démarche peut générer une certaine confusion auprès des managers. Le « mais à quoi vais-je servir ? » ou encore le « suis-je autorisé(e) à… ? » vous parlent déjà peut-être. On touche ici un point crucial, les fameuses marges de manœuvres et jusqu’où aller ?
Dans un deuxième temps, nous développerons 6 effets majeurs observés sur le terrain dans nos accompagnements. En bouleversant les structures hiérarchiques traditionnelles, la responsabilisation entraine des changements significatifs : réorganisation des espaces de travail, suppression des niveaux intermédiaires et instauration d’un dialogue plus direct entre les équipes. Donc de nombreux défis à relever en lien avec la transparence, le leadership partagé, ou encore la redéfinition des rôles managériaux.
Enfin, pour un article complet et « aidant », nous vous partagerons quelques conseils faciles à mettre en place. On parlera alors de bonnes pratiques et de postures managériales.
Au programme de cet article :
- Changement de paradigme managérial : entre confusion et réajustement.
- Effets de la responsabilisation : 6 mutations qui transforment l’entreprise de demain.
- Manager autrement : nos idées de postures et pratiques managériales inspirantes.
Changement de paradigme managérial :
entre confusion et réajustement
Lors du lancement d’une démarche de responsabilisation, nous remarquons souvent des confusions ou des inconforts liés à ce changement de paradigme. Voici plusieurs dilemmes et l’attitude que nous préconisons.
Responsabiliser ou tout lâcher ?
Le manager conserve un rôle clé dans la responsabilisation de ses équipes. Il ne s’agit pas d’abandonner son rôle, mais de créer les conditions propices pour que chacun prenne ses responsabilités.
Responsabiliser ou se déresponsabiliser ?
Accorder de l’autonomie aux équipes ne signifie pas que le manager se libère de ses obligations. Il reste pleinement responsable des résultats et du pilotage global de son entité.
Responsabiliser ou laisser une liberté totale ?
La responsabilisation s’inscrit toujours dans un cadre défini. Les managers expliquent clairement qu’il ne s’agît pas de faire tout ce que l’on veut.
*Lire aussi : « Liberté et responsabilité, les nouvelles attentes des collaborateurs ».
Responsabiliser ou déléguer ?
La nuance est de taille mais reste souvent mal appréhendée. Responsabiliser implique de transférer le pouvoir de manière permanente et inconditionnelle ; déléguer implique une temporalité limitée.
Les managers peuvent ressentir une perte de repères face à une nouvelle zone de légitimité à définir : « Quel est mon rôle désormais ? ». Certains peuvent également percevoir cette transition comme une perte de pouvoir, alors qu’il s’agit avant tout de passer d’un pouvoir exercé sur les équipes à un pouvoir permettant de développer leur potentiel et leur performance.
De leur côté, les collaborateurs, notamment ceux issus des fonctions de conseil, peuvent ressentir une pression liée à une prise de responsabilités inhabituelle, les incitant à sortir de leur zone de confort. Pour surmonter ces réactions et ces craintes, l’accompagnement des managers est un levier essentiel.
Effets de la responsabilisation :
6 mutations qui transforment l’entreprise de demain
*Lire aussi : « Comment créer de nouveaux degrés de liberté dans les grandes entreprises ? Les exemples de Michelin, OCP et Engie ».
1/ Effet sur la transparence : en finir avec la culture du secret
La Direction de l’entreprise doit elle-même, par souci d’exemplarité, pratiquer un management basé sur le principe de subsidiarité et sur la confiance.
Par ailleurs elle doit ouvrir l’accès aux informations stratégiques aux équipes de production et pratiquer la transparence. Il s’agit d’informations qui peuvent impacter à terme le travail des équipes : changement d’organisation, projets d’évolution technologiques, changement de postes des managers et des dirigeants, évolution des marchés et des besoins clients…
Toutes ces informations ne sont généralement pas descendues au niveau des équipes de production ou alors au compte-goutte et souvent au dernier moment avant la mise en œuvre des changements. Il s’agit d’en finir avec la culture du secret.
2/ Effet sur les lignes hiérarchiques : on allège et on raccourcit
Avoir des équipes responsabilisées et maintenir plusieurs niveaux de contrôle et de décision en cascade relève de la contradiction. Cela nuit à la réactivité et empêche les organisations de devenir agiles. La responsabilisation des équipes suppose d’alléger les strates hiérarchiques et de raccourcir les circuits de décisions entre la Direction, les services support et les équipes.
Dans cette perspective, les managers aux différents niveaux, voient souvent l’utilité de leur rôle remise en question. Dans certaines entreprises, leurs postes ont été supprimés et ils ont été reconvertis au sein de l’organisation dans d’autres fonctions.
Dans d’autres organisations, les managers ont vu leur rôle évoluer vers des missions plus stratégiques et moins opérationnelles.
3/ Effet sur le rôle et les missions des managers : la posture du manager coach et servant leader
Les managers sont bousculés par la mise en place de la responsabilisation puisqu’une partie de leurs activités et donc de leur pouvoir est repris par les équipes autonomes. La démarche signifie-t-elle pour autant que les managers n’ont plus leur place ?
Dans tous les cas, le raccourcissement des circuits de décision et des niveaux hiérarchiques nécessite un profond accompagnement des managers. Impactés, ils ressentent souvent l’aventure comme une remise en question de leur rôle et la vivent comme une perte de pouvoir au bénéfice des équipes. Dans cette situation il est essentiel de les accompagner à un changement de posture : passer d’un mode de management de type “command and control” à un mode “manager-coach et servant leader”. Dans tous les cas, la démarche est d’accompagner les managers à se recentrer sur leur cœur de métier, à repenser leur manière d’agir pour mieux accompagner leurs équipes.
Par exemple, dans les entreprises de services à la personne, les responsables de secteurs se sont recentrés sur l’animation de leurs équipes. Chez Michelin, les chefs d’atelier sont allés vers des fonctions de développement plus stratégiques, vers l’innovation et le management de leurs superviseurs.
4/ Effet sur la posture des services support mis « au service » des équipes
L’organisation en équipes responsabilisées suppose que les services support adoptent une posture « au service de… » et acceptent de délivrer leurs services en partant d’abord des besoins émis par les équipes. Le pouvoir de décision revient finalement aux équipes. Ces services doivent veiller à être plus en proximité des équipes de production et être plus réactifs. C’est souvent une véritable révolution pour ces services qui ont toujours été habitués à décider pour les équipes de production. Il va de soi qu’ils devront être accompagnés dans cette transformation.
Bertand Ballarin, ex-Directeur des relations sociales chez Michelin, qui a accompagné la démarche au sein des usines Michelin, le note : « un fossé risque toutefois de se creuser entre des sites (de production) de plus en plus responsabilisés et une structure de Groupe très centralisée, prescriptive et encore bureaucratique par bien des côtés ».
5/ Effet sur la performance individuelle et collective : quand il faut repenser les outils et méthodes de mesure de performance
Avec des équipes responsabilisées, la notion même de performance et sa mesure évoluent. On passe d’une conception de la performance purement centrée sur l’atteinte d’objectifs quantitatifs de production à une conception qui cherche aussi à mesurer la réussite de la responsabilisation et qui se centre sur des facteurs humains : qualité de vie au travail, bien-être, diminution du stress, diminution des conflits…
De plus, avec des équipes responsabilisées, la mesure de la performance individuelle est vite remplacée par une mesure de la performance collective. Les individus contribuant à un objectif commun qu’ils se sont donné, la mesure individuelle de la performance n’a plus beaucoup de sens.
Ces évolutions invitent les directions RH à repenser les méthodes et les outils de mesure de la performance individuelle et à trouver les moyens de reconnaitre la performance collective tout en n’oubliant pas la contribution individuelle de chacun. Et l’exercice est délicat.
6/ Effet sur le leadership : un leadership partagé
Dans une équipe responsabilisée certains vont prendre le lead sur des sujets comme la formation ou la planification. Nous les avons nommés “facilitateurs”. Ces leaders devront nécessairement avoir un statut spécifique avec la juste reconnaissance de leur engagement. C’est un nouveau défi pour les services RH. Dans cette situation, le leadership n’est plus le seul apanage du manager. Il est partagé. C’est également un défi pour les managers.
Manager autrement
5 postures clefs pour libérer le potentiel de vos équipes
- Déconstruisez vos croyances :
« Mes collaborateurs sont trop chargés et n’ont pas le temps, ils n’ont pas les compétences, ni la vision d’ensemble suffisante. »
« J’irai plus vite à le faire tout seul ; je vais perdre le contrôle des résultats ; je n’ai pas confiance pour leur confier cette tâche ; cela va diminuer mon autorité. » - Développez une meilleure connaissance de vous-même, une intelligence émotionnelle et une confiance en vous.
- Donnez a priori votre confiance à vos collaborateurs et apprenez à identifier leurs talents ; ils en ont tous !
- Soyez inclusif : accueillez la singularité de vos collaborateurs et valorisez toutes leurs compétences.
- Cherchez à les rendre autonomes, adoptez une posture basse, guidez-les.
6 pratiques managériales inspirantes pour responsabiliser vos équipes
- Prenez le temps d’expliquer à vos collaborateurs un cadre, des limites et des objectifs clairs. Cela sous-entend d’avoir clairement défini en amont les périmètres de responsabilité (le terrain de jeu) de chaque niveau.
- Appuyez-vous sur le collectif : favorisez le “travailler ensemble” par des projets portés en commun par les collaborateurs où chacun sait qu’il apporte une valeur.
- Entretenez par divers moyens un climat convivial. Efficacité et plaisir cohabitent.
- Formulez expressément le droit à l’erreur et son corollaire : imposez le devoir de les débriefer.
- En cas de difficultés, ne donnez pas les solutions mais guidez vos collaborateurs pour qu’ils les trouvent par eux- mêmes.
- Créez, au sein de votre équipe, des conditions d’équilibre entre sécurité et challenge.
- Créez des espaces de feedback de vous vers eux, mais aussi d’eux vers vous et entre eux.
- Ayez la préoccupation quotidienne de faire progresser vos équipes par tous les moyens possibles.
- Favorisez la tenue régulière d’espaces d’échanges où l’on parle du travail et de la responsabilisation pour laisser s’exprimer les succès, les craintes, et valorisez les progrès.
Pour conclure, nous pouvons dire que développer une culture de la responsabilisation nécessite une anticipation, un accompagnement minutieux des managers et des équipes, ainsi qu’un cadre de confiance. Accompagné(e), chacun(e) pourra emprunter le chemin qui lui correspond et avancer en fonction de ses besoins et de son degré de maturité.
Enfin, pour en savoir davantage sur le sujet de la responsabilisation des équipes, vous pouvez télécharger notre livre blanc. Ce sont plus de 70 pages avec des éclairages et des témoignages pour oser défendre une culture de la responsabilisation.
Frédéric Botter – Consultant et formateur.