Quelles sont donc les tendances que la crise sanitaire covid a fait émerger au sein des organisations ? Qu’a-t-elle accéléré ? Quels sont les envies et les enseignements que chacun tirera de cette période ? Quels impacts sur le fonctionnement des entreprises, dans le management, dans les dynamiques d’équipes, dans les attentes nouvelles des collaborateurs ?
En réfléchissant bien à ces questions, on voit émerger une tendance qui a pris une importance toute particulière durant cette crise sanitaire : la liberté dans les entreprises. A n’en point douter, elle s’affirme aujourd’hui comme une attente encore plus forte des collaborateurs.
De quoi parle-t-on quand on parle de liberté dans les entreprises ?
De façon générale, la liberté est un concept qui désigne la possibilité d’action ou de mouvement. Elle marque l’aptitude des individus à exercer leur volonté. Pour le sens commun, la liberté s’applique principalement aux individus et s’oppose à la notion d’enfermement ou de séquestration. Une personne qui vient de sortir de prison est dite libre. Le sens originel du mot liberté est d’ailleurs assez proche : l’homme libre est celui qui n’a pas le statut d’esclave.
Mais peut-on encore parler d’esclavage aujourd’hui ? Beaucoup le pense, c’était, en tout cas, le message fort du film de Charlie Chaplin : « les temps modernes ».
Quoi qu’on en pense, les entreprises demeurent le lieu d’un rapport de domination que le droit du travail ne cherche même pas à dissimuler, lorsqu’il caractérise le contrat de travail par le lien de subordination établi entre un patron et son employé. C’est peut-être pourquoi, dans beaucoup d’ouvrages ou d’articles, on trouve des définitions très « juridiques » ou très « contractuelles » de la liberté, souvent relatives au droit du respect de la vie privée du salarié (données personnelles, secret des correspondances, droit à la déconnexion, liberté vestimentaire, respect du domicile) ou relative au droit à la liberté d’opinion, de religion et d’expression du salarié (liberté d’opinion et de penser du salarié, liberté d’expression hors entreprise, convictions religieuses).
Levier de modernisation des entreprises, la liberté d’action
Néanmoins, c’est l’acception de la liberté d’action (dans le sens liberté d’agir) qui doit être, pour moi, au centre des réflexions des projets de modernisation des entreprises.
* Lire aussi : l’interview de Damien Gauthier à l’événement bpifrance, BIG.
Car que ce soit en termes de performance financière, d’innovation ou de succès sur le long terme, ce sont les entreprises qui offrent le plus de libertés d’action qui s’en sortent mieux. Pourquoi ? La raison est simple : les méthodes d’organisation du travail traditionnelles ne sont pas assez flexibles pour permettre aux entreprises de survivre et réussir dans un univers de business où la concurrence est mondiale, complexe et accélérée par le développement des NTIC … Tout cela est très darwinien.
Et, depuis un moment déjà, les tenants de la liberté dans les entreprises en sont persuadés : donner plus de libertés à ses collaborateurs, plus de marges de manœuvre, c’est favoriser leur motivation et leur bien-être, et ainsi leur productivité et leur créativité. Et dans un marché du travail globalisé, c’est aussi essentiel pour attirer et garder les talents.
L’héritage de Taylor, fondé sur la discipline et l’autorité, est donc devenu contre-productif car pour un « travailleur du savoir », c’est désormais l’autonomie, la liberté d’action qui est source de productivité.
De surcroît, la contractualisation d’un temps de travail avec l’entreprise est lui-même à questionner car tout le monde sait que celui qui se sent trop contraint peut discrètement pratiquer le présentéisme contemplatif, voire l’absentéisme moral …. Quel sens alors donner au temps de travail ? Serions-nous dans une phase dépassée de notre organisation sociale ?
Julia de Funès dans sa conférence « Absurdités en entreprise » à l’USI définissait la liberté ainsi : « Être libre ce n’est pas s’affranchir de tout mais c’est devenir la cause de l’effet qu’on souhaite produire », « ce n’est pas faire ce que l’on veut quand on le veut mais c’est savoir ce que l’on fait », « on est libre nulle part car on est submergé de lois (physiques, physiologiques, organisationnelles, culturelles, sociales…), donc on ne pourra jamais être totalement libre. Mais on peut se libérer en comprenant ce que l’on fait et en agissant réellement et en ne subissant plus. Comprendre, c’est ne plus subir, c’est maîtriser ce qui se passe en comprenant les rouages qui permettent de jouer avec ces lois fixes ».
Sa définition rejoint celle qu’on donne aux organisations libérantes ; celles qui tentent conjointement de supprimer le maximum de contraintes organisationnelles pour favoriser la liberté d’action et d’instaurer des cultures managériales rendant possible cette ambition.
Sa définition souligne aussi la dimension relative de la liberté, c’est-à-dire une liberté qui n’est pas totale mais qui s’exprime en respectant les équilibres nécessaires avec l’environnement (humain, social, politique, éthique, …) comme sa compatibilité avec des principes (égalité, justice, performance…) Ainsi la « liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4 de la Déclaration des droits de l’homme), elle autorise « de dire ou de faire ce qui n’est pas contraire à l’ordre public ou à la morale publique » (droit administratif) ou encore « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ».
Repenser la culture de l’entreprise pour permettre l’agir libre
La culture du contrôle est, aujourd’hui encore, puissamment ancrée dans bon nombre d’entreprises ; elle se traduit par la mise en place de processus, de règles qui édictent les façons de faire et par un management très encadrant ; tout cela nuit nécessairement à la liberté d’agir des collaborateurs. Pour promouvoir l’autonomie de décision et d’action des collaborateurs peut être faudrait-il abandonner ces fameux cadres de délégation (caricaturalement : « voilà ce que tu vas faire et comment tu vas le faire ») au bénéfice de cadre de subsidiarité (tu peux tout décider et faire pour réussir les objectifs, sauf ça qui est de mon ressort et ça qui est hors-jeu). Ces cadres de subsidiarité ont l’avantage de définir les contours du terrain de jeu du collaborateur afin de le laisser libre, en son sein, de choisir et d’agir.
Vous souhaitez faire évoluer votre culture managériale, revoir en profondeur les pratiques mais également les postures et la philosophie du management au sein de votre organisation ?
Finalement la liberté d’agir, c’est la liberté de mouvement, de choix, de décision, d’action. Quand cela s’y prête, qu’elle est conforme aux intérêts de l’entreprise et de son équipe et dans un cadre de subsidiarité préalablement défini, la liberté pourrait se définir par de nombreuses autorisations de nature très variables :
- liberté de décider là où l’action se mène,
- liberté de travailler le dimanche mais pas le mardi,
- liberté de travailler à 2h du matin mais pas à 9h,
- liberté de travailler où que l’on souhaite,
- liberté de choisir ses périodes de congés,
- liberté dans sa gestion des priorités,
- liberté de contribuer,
- liberté de dire,
- libertés pour satisfaire le client,
- liberté d’innover,
- liberté de challenger,
- liberté de proposer,
- liberté d’entreprendre,
- liberté de se tromper,
- liberté de confronter,
- liberté de refuser,
- liberté d’agir en conscience…
En définitive des libertés centrées résultat permettant des équilibres pro-perso plus harmonieux et favorisant une expérience collaborateur enthousiasmante, à savoir se sentir acteur de son destin, acteur de son agir, acteur de ses décisions, acteur de son temps, acteur de sa performance. La liberté, ne serait-ce que d’organiser son temps, ne fait pas seulement quelque chose pour nous ; elle fait également quelque chose de nous.
La liberté restera certainement inscrite dans les attentes des collaborateurs après la crise, un certain désir de liberté d’espace et de temps. Ce n’est pas une attente nouvelle, elle existait déjà avant cette crise, elle est aussi une demande non-négociable des nouvelles générations, mais les entreprises ne sont pas encore prêtes, empêtrées dans leurs croyances de l’ancien monde et dans leurs carcans juridiques ou procéduraux. Elles ont dû néanmoins l’expérimenter de force : le confinement a été un accélérateur d’expérimentation. Chacun a ainsi pu et dû vivre une forme de liberté imposée par décret.