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Covid-19 – Liberté et responsabilité, les nouvelles attentes des collaborateurs ?

Malgré la situation d’incertitude et d’ambiguïté, les collaborateurs vivent une période folle dans laquelle ils explorent, tentent, imaginent, expérimentent, réadaptent, formalisent, osent des positionnements nouveaux. Cette gesticulation productive conjoncturelle permet la survie, l’adaptation court terme, voire, peut-être, plus simplement de se sentir encore vivant. La vie va reprendre son cours, mais ce sera une situation normale différente, nous allons reprendre « autrement » dans une nouvelle normalité. Bienvenu(e) dans le néo-normal !
La crise va avoir un impact sur le fonctionnement des entreprises et le management. De nouvelles envies mais surtout deux tendances fortes qui s’affirment plus encore aujourd’hui qu’hier : la liberté et la responsabilité.

 

Expérimenter une liberté sous décret

Que se passe-t-il dans cette période pour nous tous ? Assurément une nouvelle conception de l’espace et du temps. Avec le confinement, les équilibres pro-perso s’entremêlent plus qu’avant notamment quand on a des enfants à la maison ; la gestion de la distance nécessite l’utilisation accrue de plateformes de visio ou autres Teams, de nouveaux rituels d’équipe à distance pour pallier les pertes d’échanges informels du présentiel.

Finalement, si cet enfermement nous a privé de notre liberté de déplacement, il nous a offert, à contrario, de nouvelles libertés dans la gestion de notre vie pour trouver des équilibres souvent plus harmonieux (et quelquefois aussi plus difficiles pour certains).

Si, dans les premiers moments du confinement, cette nouvelle façon de fonctionner a semblé en satisfaire une grande majorité, sa prolongation a aussi contraint la liberté. Nombreux sont ceux qui souhaiteraient retrouver sans contrainte le cadre de travail d’avant.

 

Liberté en entreprise ? De quoi parle-t-on ?

De façon générale, la liberté est un concept qui désigne la possibilité d’action ou de mouvement, elle marque l’aptitude des individus à exercer leur volonté. Pour le sens commun, la liberté s’applique principalement aux individus et s’oppose à la notion d’enfermement ou de séquestration. Une personne qui vient de sortir de prison est dite libre. Le sens originel du mot liberté est d’ailleurs assez proche : l’homme libre est celui qui n’a pas le statut d’esclave. 
Mais peut-on encore parler d’esclavage aujourd’hui ? Beaucoup le pensent, c’était, en tout cas, le message fort du film de Charlie Chaplin : « les temps modernes ».

Quoi qu’on en pense, les entreprises demeurent le lieu d’un rapport de domination que le droit du travail ne cherche même pas à dissimuler, lorsqu’il caractérise le contrat de travail par le lien de subordination établi entre un patron et son employé. C’est peut-être pourquoi, dans beaucoup d’ouvrages ou d’articles, on trouve des définitions très « juridiques » ou très « contractuelles » de la liberté, souvent relatives au droit du respect de la vie privée du salarié (données personnelles, secret des correspondances, droit à la déconnexion, liberté vestimentaire, respect du domicile) ou relative au droit à la liberté d’opinion, de religion et d’expression du salarié (liberté d’opinion et de penser du salarié, liberté d’expression hors entreprise, convictions religieuses).

 

Libérer l’action

Néanmoins, c’est l’acception de la liberté d’action (dans le sens liberté d’agir) qui doit être, pour moi, au centre des réflexions des projets de modernisation des entreprises. Car que ce soit en termes de performance financière, d’innovation ou de succès sur le long terme, ce sont les entreprises qui offrent le plus de libertés d’action qui s’en sortent mieux. Pourquoi ? La raison est simple : les méthodes d’organisation du travail traditionnelles ne sont pas assez flexibles pour permettre aux entreprises de survivre et réussir dans un univers de business où la concurrence est mondiale, complexe et accélérée par le développement des NTIC … Tout cela est très darwinien.

Et, depuis un moment déjà, les tenants de la liberté au travail en sont persuadés : donner plus de libertés à ses collaborateurs, plus de marges de manœuvre, c’est favoriser leur motivation et leur bien-être, et ainsi leur productivité et leur créativité. Et dans un marché du travail globalisé, c’est aussi essentiel pour attirer et garder les talents.

L’héritage de Taylor, fondé sur la discipline et l’autorité, est donc devenu contre-productif car pour un « travailleur du savoir », c’est désormais l’autonomie, la liberté d’action qui est source de productivité. De surcroît, la contractualisation d’un temps de travail avec l’entreprise est lui-même à questionner car tout le monde sait que celui qui se sent trop contraint peut discrètement pratiquer le présentéisme contemplatif, voire l’absentéisme moral…. Quel sens alors donner au temps de travail ? Serions-nous dans une phase dépassée de notre organisation sociale ?

Julia de Funès dans sa conférence « Absurdités en entreprise » à l’USI définissait la liberté ainsi : « Être libre ce n’est pas s’affranchir de tout mais c’est devenir la cause de l’effet qu’on souhaite produire », « ce n’est pas faire ce que l’on veut quand on le veut mais c’est savoir ce que l’on fait », « on est libre nulle part car on est submergé de lois (physiques, physiologiques, organisationnelles, culturelles, sociales…), donc on ne pourra jamais être totalement libre. Mais on peut se libérer en comprenant ce que l’on fait et en agissant réellement et en ne subissant plus. Comprendre, c’est ne plus subir, c’est maîtriser ce qui se passe en comprenant les rouages qui permettent de jouer avec ces lois fixes ».

Sa définition rejoint celle qu’on donne aux organisations libérantes. Celles qui tentent conjointement de supprimer le maximum de contraintes organisationnelles pour favoriser la liberté d’action et d’instaurer des cultures managériales rendant possible cette ambition.

Sa définition souligne aussi la dimension relative de la liberté, c’est-à-dire une liberté qui n’est jamais totale ; mais qui s’exprime en respectant les équilibres nécessaires avec l’environnement (humain, social, politique, éthique, …), comme sa compatibilité avec des principes (égalité, justice, performance…). Ainsi la « liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4 de la Déclaration des droits de l’homme), elle autorise «de dire ou de faire ce qui n’est pas contraire à l’ordre public ou à la morale publique » (droit administratif) ou encore « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ».

 

Repenser la culture de l’entreprise pour favoriser la liberté d’agir

La culture du contrôle est, aujourd’hui encore, puissamment ancrée dans bon nombre d’entreprises. Elle se traduit par la mise en place de processus, de règles qui édictent les façons de faire et par un management très encadrant. Tout cela nuit nécessairement à la liberté d’agir des collaborateurs.

Pour promouvoir l’autonomie de décision et d’action des collaborateurs, peut-être faudrait-il abandonner ces fameux cadres de délégation (caricaturalement : « voilà ce que tu vas faire et comment tu vas le faire »), au bénéfice de cadres de subsidiarité (« tu peux tout décider et faire pour réussir les objectifs, sauf ça qui est de mon ressort et ça qui est hors-jeu »). Ces cadres de subsidiarité ont l’avantage de définir les contours du terrain de jeu du collaborateur afin de le laisser libre, en son sein, de choisir et d’agir.

Finalement la liberté d’agir, c’est la liberté de mouvement, de choix, de décision, d’action. Quand cela s’y prête, qu’elle est conforme aux intérêts de l’entreprise et de son équipe et dans un cadre de subsidiarité préalablement défini, la liberté pourrait se définir par de nombreuses autorisations de natures très diverses : liberté de décider là où l’action se mène, liberté de travailler le dimanche mais pas le mardi, liberté de travailler à 2h du matin mais pas à 9h, liberté de travailler où que l’on souhaite, liberté de choisir ses périodes de congés, liberté dans sa gestion des priorités, liberté de contribuer, liberté de dire, libertés pour satisfaire le client, liberté d’innover, liberté de challenger, liberté de proposer, liberté d’entreprendre, liberté de se tromper, liberté de confronter, liberté de refuser, liberté de choisir, liberté d’agir en conscience…

En définitive des libertés permettant des équilibres pro-perso plus harmonieux et favorisant une expérience collaborateur enthousiasmante. Ainsi le collaborateur devient acteur de son destin, acteur de son agir, acteur de ses décisions, acteur de son temps, acteur de sa performance.

La liberté restera certainement inscrite dans les attentes des collaborateurs après la crise, un certain désir de liberté d’espace et de temps. Ce n’est pas une attente nouvelle, elle existait déjà avant cette crise, elle est aussi une demande non-négociable des nouvelles générations, mais les entreprises ne sont pas encore prêtes, empêtrées dans leurs croyances de l’ancien monde et dans leurs carcans juridiques ou procéduraux. Elles ont dû néanmoins l’expérimenter de force : le confinement a été un accélérateur d’expérimentationChacun a ainsi pu et dû vivre une forme de liberté imposée par décret.

 

Le revers -souhaitable- de la médaille : pas de liberté sans responsabilité

Cependant pour qu’elle puisse s’instaurer de manière pérenne dans les entreprises, en toute confiance, l’augmentation de la liberté doit aller de pair avec la responsabilité. Il n’existe pas de liberté dans la possibilité des choix sans responsabilité. Une organisation libérante est une organisation responsabilisante et les courants d’innovation organisationnelle le soulignent déjà depuis un moment.

 

Mais qu’est qu’être responsable ?

Une personne responsable, c’est une personne à qui on peut se fier, car elle est en mesure de dominer la situation, de s’en porter garante, parce qu’elle dispose de la maîtrise de ses actes. Et parce qu’elle a la maîtrise de ses actes, il arrive qu’elle ait à en rendre compte devant une autre personne ; mais cette obligation accidentelle ne constitue pas l’essence de la responsabilité. Dans la prise de responsabilité, le pouvoir de décision est central : comment, en effet, être responsable de choses que l’on ne décide pas soi-même ? Au-delà de ce pouvoir de décision, la responsabilité interroge aussi d’autres notions connexes : l’autonomie et les cadres de subsidiarité, la confiance, les nouvelles formes d’organisation du travail, la responsabilité collective, la liberté d’agir, le droit à l’erreur…

 

Faire évoluer la culture managériale

Force est de constater que les méthodes de management fondées sur le principe de subordination (je prescris, tu fais, je contrôle) ne permettent pas la prise de responsabilité des collaborateurs.
Il faut apprendre à désapprendre et revoir en profondeur, non seulement les pratiques managériales, mais également les postures et la philosophie du management. Cela implique pour de nombreuses entreprises de modifier profondément leur culture du contrôle.

Ce n’est pas si simple. Pourtant, des expérimentations faites en matière de responsabilisation dans de grandes entreprises montrent des effets bénéfiques :

  • Développement de la performance,
  • Amélioration la qualité de vie au travail,
  • Production de sens,
  • Motivation intrinsèque des salariés (et donc de leur engagement).

Je pense que cette pièce à double face liberté-responsabilité sera certainement celle qui éclairera de son éclat les contours de notre toute prochaine néo-normalité.
Elle réinterroge les contrats de temps au bénéfice des contrats par objectifs, elle challenge la culture du contrôle et celle du management qui devra tendre vers des relations plus adulte-adulte et non plus adulte-enfant. Elle tente aussi de bousculer, de décristalliser les croyances de l’ancien monde en ouvrant des champs nouveaux de collaboration entre l’entreprise et ses collaborateurs ; la confiance réciproque en sera le ciment.