« Je déjeune avec une cliente DRH de son état et qui m’avoue avoir des difficultés avec son équipe. Appelons-la Marie. C’est une jeune femme entreprenante, ouverte et dont le style de management est très délégatif. Marie n’est pas satisfaite de son équipe et elle est un peu amère. « Je leur donne pourtant beaucoup d’autonomie m’avoue-t-elle mais je suis en permanence obligée de leur demander où ils en sont et de repasser derrière eux pour corriger les erreurs ». Au fond Marie pense qu’il suffit de dire à ses équipiers : « soyez autonomes » pour que leur autonomie se développe. La réaction des collaborateurs de Marie est compréhensible. Certes je suis autonome mais qu’est-ce que je fais de cette autonomie, comment et jusqu’où je l’exerce ?
Marie a tout simplement oublié une vérité, à savoir que l’autonomie ne se décrète pas, qu’elle ne va pas toujours de soi, qu’elle peut faire peur et qu’au final elle s’apprend.
Marie, dans sa démarche d’autonomisation de son équipe a vraisemblablement oublié un terme dans l’équation de l’autonomie. Celui de responsabilisation, c’est-à-dire la capacité à prendre de manière autonome des décisions pertinentes, en tenant compte des enjeux et des contraintes de l’environnement, de les assumer et d’en rendre compte. Car l’un ne va pas sans l’autre. L’autonomie suppose la responsabilisation et vice-versa.
Au programme de cet article :
1- La responsabilisation, une innovation pas si nouvelle.
2- La responsabilisation signe-t-elle la fin des managers ?
3- Les prérequis pour lancer la démarche de responsabilisation.
4- Le diagnostic et le lancement de la démarche.
5- Les 4 premières pierres d’une démarche de responsabilisation.
6- Former les équipes et leur manager à l’intelligence collective.
7- Les 2 phases de progression vers l’autonomie et la responsabilisation.
8- Une transformation à tous les niveaux.
9- Un véritable accompagnement.
La responsabilisation, une innovation pas si nouvelle
Depuis quelques années l’équation responsabilisation = plus de d’engagement et de bien-être au travail et donc plus de performance globale a creusé son sillon. De plus en plus d’entreprise l’adoptent et font de l’autonomie et de la responsabilisation, deux des fils conducteurs de leur management. Cette découverte, si elle apparait en ce début de siècle comme une innovation managériale majeure, n’est en fait pas totalement nouvelle. Pour ne donner qu’un exemple, Hyacinthe Dubreuil, syndicaliste français fait paraitre un ouvrage en 1930 intitulé A Chacun sa chance. L’organisation du travail fondée sur la liberté. Cet ouvrage arborait à l’époque ce sous-titre très actuel : « L’organisation du travail fondée sur la liberté »…
La responsabilisation signe-t-elle la fin des managers ?
Comme le souligne Thibaut Cournarie dans un excellent article paru dans la HBR sur le sujet, les nouvelles formes de leadership autour de l’entreprise libérée et de la responsabilisation des équipes, ne signifient pas la fin des managers. Elles nécessitent au contraire encore plus de présence des managers dans l’acquisition de l’autonomie et de la responsabilisation.
Le développement de la responsabilisation d’une équipe est un chemin progressif et exigeant qui comporte plusieurs étapes dont la principale et la première consiste à former les managers à adopter la bonne posture. Car souvent les managers pensent les organisations responsabilisantes comme des organisations dans lesquelles ils n’ont plus rien à exiger de leurs équipes et dans lesquelles ils n’ont plus à réguler les contributions de leurs équipes. Encore une fois il y a là une confusion entre responsabilisation et indépendance. Or rien n’est moins vrai.
Une histoire de posture : manager héros VS servant leader
Les démarches de responsabilisation les plus connues et les plus réussies montrent que le manager est encore bien présent. Cette présence garantit une unité d’action entre les initiatives individuelles au service d’une vision et d’objectifs partagés et dans le respect des cadres et des contraintes que connaissent toutes les entreprises. La posture adaptée étant sans conteste celle du servant leader telle que l’avait envisagée Robert K. Greenleaf et qui s’oppose au « manager héros », manager providentiel qui est capable de résoudre tous les problèmes. Face à cette idée héroïsée du manager, Greenleaf propose dans son essai The servant as a leader, celle du manager au service de son équipe et inverse la pyramide de la dépendance.
Cette image est d’ailleurs popularisée avec brio dans la série New Amsterdam dans laquelle le directeur de l’hôpital Max Goodwin demande en permanence à ses équipes : « qu’est-ce que je peux faire pour vous, pour que vous puissiez travailler mieux ? ».
Le nouveau challenge des managers est donc moins de disparaître (ou de devenir invisibles comme le prônent certaines approches) que d’apprendre l’autonomie et la responsabilisation à leurs équipes. Mais encore faut-il qu’ils approuvent ce nouveau rôle et qu’ils soient en capacité de l’exercer.
Les prérequis pour lancer la démarche de responsabilisation
Ce sont trois conditions préalables à remplir et sans lesquelles la montée en autonomie et en responsabilisation ne sera pas possible. Ces prérequis obligent la direction de l’entreprise à un engagement à la transparence et à ouvrir largement le flux d’informations stratégiques sans lesquelles une équipe ou un individu ne peut pas devenir autonome. Ces trois conditions peuvent paraître simples et évidentes mais elles font très rarement l’objet d’une communication auprès des équipes.
- Condition N°1 : l’équipe est consciente et comprend les enjeux de son environnement de travail, les besoins du marché et des clients, leurs évolutions et leurs tendances.
- Condition N°2 : elle est informée des résultats de l’entreprise, de sa stratégie et des projets stratégiques impactant son activité.
- Condition N°3 : elle maîtrise les facteurs affectant sa performance et ses résultats.
Si ces conditions ne sont pas remplies, la démarche incitera donc l’organisation et ses dirigeants à combler le manque par des formations internes.
Il est plus simple de commencer par des petites équipes.
Le diagnostic et le lancement de la démarche
Ce diagnostic est en même temps la réunion de lancement de la démarche. Il consiste à inviter les équipes à répondre à trois questions simples. Elles m’ont été inspiré par l’excellent Bertrand Ballarin qui fût longtemps en charge des organisations responsabilisantes et des relations sociales chez Michelin :
- Qu’est-ce que vous êtes actuellement capables de décider et de faire sans la validation de votre chef ?
- Quels problèmes de production êtes-vous capable actuellement de résoudre sans l’intervention d’une personne des services support ?
- Quelles innovations avez-vous été capable de réaliser en toute autonomie ?
Cette première vague de questions vise surtout à mesurer le niveau d’autonomie de l’équipe.
En fonction des réponses on pourra mesurer son degré d’autonomie et situer le point de départ pour une montée progressive en responsabilisation. Ainsi si la planification du travail de l’équipe au quotidien est encore réalisée par le manager, la prise en charge de cette activité pourra être la première marche vers la responsabilisation.
Dans un deuxième temps (quelques semaines après le diagnostic) on pose les mêmes questions à l’équipe mais en se projetant dans le futur proche :
- Qu’est-ce que vous pourriez (et vous aimeriez) à terme décider et faire sans la validation de votre chef ?
- Quels problèmes de production pourriez-vous (et vous aimeriez) être capable de résoudre à terme sans l’intervention d’une personne des services support ?
- Dans quels domaines vous sentiriez-vous en capacité de proposer des innovations concrètes en toute autonomie ?
L’équipe et son manager peuvent alors formaliser le plan d’action de la montée en compétences.
Pour la réussite de la démarche, il est essentiel que ce soit l’équipe qui décide des activités sur lesquelles elle souhaite monter en responsabilisation. On ne peut pas imposer la responsabilisation.
*Lire aussi : les grands débats de l’école de Paris « Comment créer de nouveaux degrés de liberté dans les grandes entreprises ?« . Voir les démarches de Michelin, OCP et ENGIE sur la responsabilisation des équipes.
Les 4 premières pierres d’une démarche de responsabilisation
Le socle de base de la démarche est constitué de 4 éléments clefs, sans lesquels l’autonomie et la responsabilisation ne sauraient se développer efficacement. Ce sont les 4 premières pierres de la démarche.
1- Vision et ambition claires
L’équipe est engagée sur la vision de l’Entreprise. Elle se donne à elle-même une ambition cohérente avec la vision.
2- Écosystème défini
L’équipe a défini son écosystème avec qui et pour qui (destinataires) elle travaille. Elle a identifié les différentes interactions avec les parties-prenantes de son écosystème et leur fréquence ainsi que les besoins de chaque partie-prenante. Elle a identifié également pour chacune d’elles le niveau de qualité attendu.
3- Centration client
L’équipe a déterminé les besoins de ses clients internes ou externes. Elle s’engage sur la qualité et les délais. Elle mesure régulièrement la tenue de ses engagements et la satisfaction de ses clients.
4- Engagement sur les résultats
L’équipe a défini des résultats à atteindre et s’engage à les suivre au quotidien et à en effectuer un reporting.
Former les équipes et leur manager à l’intelligence collective
La formation des équipes et le développement des compétences collectives est une condition clef de la réussite de la démarche. La responsabilisation suppose le développement de qualités relationnelles fortes comme l’écoute, l’assertivité ou la bienveillance. Prendre des décisions en équipe peut se révéler difficile lorsque l’équipe a été habituée à des modes de management très descendants.
4 trainings d’équipe nous semblent indispensables :
- Prendre des décisions pertinentes en équipe. C’est la base.
- Utiliser des méthodes de résolution de problème orientées solutions. Comment trouver ensemble des solutions agiles en mobilisant la créativité ?
- Négocier et convaincre. Les équipes autonomes vont devoir négocier avec leurs dirigeants et l’ensemble des parties-prenantes leur niveau d’autonomie.
- Conduire des changements/innovations en équipe. Design thinking, conduite du changement agile… ces approches favorisent la réussite des changements dès lors qu’ils sont conduits en collectif.
Deux phases de progression vers l’autonomie et la responsabilisation
La montée progressive en autonomie et en responsabilisation s’opère sur deux phases distinctes.
- Phase 1 : la marche courante, c’est-à-dire les activités quotidiennes comme la planification du travail, la fixation des objectifs de production, l’amélioration continue…
- Phase 2 : les activités transverses et stratégiques qui dépendent généralement de la direction et des services supports : les RH, la communication, la relation client, l’innovation, les relations avec les prestataires internes ou externes…
L’idée d’une montée progressive vers l’autonomie et la responsabilisation en deux étapes nous est venue de l’observation de quelques démarches mises en œuvre chez nos clients.
Un EXEMPLE en particulier nous a frappé. S’inspirant de l’expérience des « entreprises libérée » type Zappos, les dirigeants de cette entreprise de service, encourageaient les équipes à choisir elles-mêmes leur manager. C’est l’équipe qui définit le profil attendu du manager et poste une annonce sur Linkedin. Mais cette autonomie s’arrête là car très vite les services RH reprennent la main sur le recrutement. On assiste là à un effet « gadget » donnant l’illusion de l’autonomie. De plus dans cette démarche, rien n’avait été fait ou dit sur l’autonomie de l’équipe dans la gestion de son activité au quotidien (ce que nous appelons la marche courante). Les managers continuaient à pallier les difficultés quotidiennes et à résoudre les problèmes de production. N’est-ce pas là mettre la charrue avant les bœufs ?
Une transformation à tous les niveaux
Comme le dit très bien Sylvie Joseph, ex-responsable de la transformation digitale au groupe La Poste, l’autonomie et la responsabilisation des équipes impacte toute l’organisation de l’entreprise et nécessite non seulement un repositionnement des managers mais aussi des services supports qui doivent se mettre réellement au service de la production.
Une telle démarche a été engagée dans de nombreuses entreprises industrielles (Michelin, Valéo…). Elle s’est traduite entre autres choses par une délocalisation physique des services supports (méthodes, maintenance, qualité, communication, RH) sur les sites de production pour être plus en proximité et intervenir avec plus de réactivité. Cette nouvelle organisation a été aussi choisie dans le but de raccourcir les circuits de décision et pour faciliter les échanges et le dialogue entre les différents services supports qui se retrouvaient dans le même espace de travail.
Une vraie révolution pour les services supports qui ne décident plus eux-mêmes du besoin des équipes mais qui délivrent leurs services à partir de l’expression des besoins de l’équipe. En d’autres termes, c’est l’équipe qui décide de ses besoins et les services support les réalisent. Et l’équipe dialogue en direct avec le service concerné sans passer par les filtres des différents niveaux hiérarchiques. Dans un proche avenir, ce sont les services RH chez Michelin qui seront impactés. Les équipes seront autonomes quant à la définition de leur plan de développement des compétences. Finies les formations imposées par la DRH !
Le raccourcissement des circuits de décision est sans conteste une des conditions clefs de la responsabilisation des équipes. Et c’est un changement profond à conduire !
Un véritable accompagnement
On le voit, la responsabilisation des équipes constitue un véritable projet de transformation n’affectant pas que l’équipe qui s’y lance mais l’ensemble de l’organisation. Sa raison d’être n’est pas exclusivement centrée sur le gain de performance et de productivité mais aussi sur la performance sociale : qualité de vie et conditions de travail, innovation, RSE…
Et comme toute transformation elle doit être accompagnée.
Frédéric Botter – Chef de projet et consultant Cinaps.
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