Nous avons organisé à l’automne dernier notre séminaire annuel, la Cinaps Academy, avec toute notre équipe de coachs et de formateurs, dans un lieu insolite, la Bergerie Nationale de Rambouillet. Toujours à la recherche de modalités innovantes et out of the box pour nos clients, nous étions très curieux à l’idée de tester une méthode de coaching des systèmes vivants expérientielle. Une approche décalée dotée d’une pédagogie apprenante qui sort des sentiers battus pour aborder des thématiques telles que la cohésion d’équipe, l’agilité, le savoir-être ensemble, etc.
Fort de l’enthousiasme suscité lors de cette journée, j’ai eu envie d’interviewer François Vergonjeanne, coach d’organisation, à l’origine de cette démarche. L’occasion d’approfondir le pourquoi de ces ateliers, à quels besoins ils répondent au sein des organisations, ce qu’ils nous révèlent, comment ils s’organisent, etc. Et également, de challenger François sur sa vision du monde du travail et du management de demain.
Bonne lecture.
Au programme :
- Le parcours de François Vergonjeanne et comment est-il arrivé au sheep coaching ?
- A quels besoins en entreprise répond cette modalité ?
- A quoi ressemble un atelier de sheep-coaching ?
- Que se passe t‘il sur le terrain ? Que nous révèlent ces expérimentations en milieu vivant ?
- Mettre en mouvement le corps (vs le cerveau) face à des situations complexes pour modifier nos façons d’agir, ça veut dire quoi exactement ?
- Quels sont les retours les plus marquants des stagiaires ?
- Quel regard François Vergonjeanne porte-t’il sur le management d’aujourd’hui et l’évolution des organisations ?
François, racontes-nous ton parcours et comment es-tu arrivé au sheep coaching, pour accompagner la complexité des systèmes vivants ?
François Vergonjeanne – Quand j’étais petit, je m’intéressais aux animaux. Ceux de la ferme de mes grands-parents où je passais mes vacances, mais aussi les oiseaux que je voyais à travers mes jumelles. J’étais émerveillé par la beauté d’un bouvreuil en hiver ou le bruant jaune. Je suis très sensible à la puissance de la beauté.
Et puis quand ma grand-mère tuait le lapin ou le canard, je me rendais compte qu’il y avait irrémédiablement un avant et un après.
La vie m’intéressait. J’ai cherché à comprendre ce que ce qu’elle était. J’ai fait des études de biologie, J’y ai appris les agencements chimiques entre des molécules plus ou moins grosses. Mais ce n’était pas ça la vie pour moi.
Puis après la biologie j’ai poursuivi en agronomie.
Je suis parti en Italie pour démarrer le lancement d’une grande exploitation agricole en partenariat avec plusieurs pays. Là il y avait des moutons et des chèvres.
Outre mon métier d’agronome sur place qui consistait à établir un plan de gestion zootechnique, je prêtais souvent main forte aux bergers. Je regardais, j’apprenais, j’aimais cette vie.
De retour en France, j’ai repris mes études à l’Institut d’Administration des Entreprise et je suis rentré dans une filiale d’un groupe suédois qui vendait du matériel agricole. Dans cette entreprise j’ai reçu une formation à l’Analyse Transactionnelle qui est un modèle de psychologie et de sociologie humaine.
Ça m’a immédiatement passionné car enfin, j’allais comprendre la Vie, vue de l’intérieur.
Alors oui, j’ai découvert tout un vocabulaire et une grammaire qui expliquaient les phénomènes humains, l’origine des phénomènes inconscients ou plus ou moins conscients.
Entre temps, j’ai eu des enfants, je voyais la vie fleurir autour de moi.
En 1999 j’ai quitté le monde du salariat pour me mettre à mon compte. J’ai ouvert mon cabinet Mediaxion : analyse transactionnelle, formation à la communication, à la gestion des conflits, au management, etc.
Dans mes études d’Analyse Transactionnelle, j’avais découvert la Théorie Organisationnelle de Berne. C’était peu connu, même par les analystes transactionnels eux-mêmes.
Il y avait tellement de similitudes entre la sociologie de la Théorie Organisationnelle de Berne et la biologie, que j’ai creusé la Théorie Organisationnelle de Berne et j’ai écrit un livre sur le sujet « Coacher groupes et organisations ». Entre temps le coaching d’organisation était apparu. Naturellement j’avais fait le rapprochement entre cette discipline émergente et ce que je savais et savais-faire.
Un jour, alors que j’enseignais la Théorie Organisationnelle de Berne à HEC, le patron du coaching d’HEC nous dit : « on va lancer une formation au coaching d’organisation. Mais il y aura très peu d’apports didactiques. Je veux de l’expérientiel ».
Et c’est là que je me suis souvenu de mes moutons en Italie ! J’ai eu l’intuition que si on mettait un groupe de coachs apprenants en situation de piloter un groupe de brebis, il allait se passer des choses très intéressantes et apprenantes.
Je suis allez voir la Bergerie Nationale de Rambouillet avec qui j’avais été en contact quand je travaillais dans la filiale française de machinisme agricole. Ils m’ont écouté et accueilli avec enthousiasme.
Et c’est comme ça que
le sheep coaching a commencé !
C’était en 2012.
A quels besoins en entreprise répond le sheep coaching ?
François Vergonjeanne – Quelles que soient les entreprises, ou même les organisations non marchandes, elles ont toutes besoin d’une certaine cohésion pour fonctionner. Sans cette cohésion les individus ont peu de chances de survivre dans leur environnement.
Elles ont besoin de membres qui « font équipe » bien que chacun sait qu’on « joue perso » de temps en temps, pour reprendre une métaphore footballistique.
Le sheep coaching est un accompagnement qui répond à un besoin essentiel,
« comment faire équipe » ?
Les équipes concernées peuvent être de nature très différente :
- Une équipe de direction (CODIR) : comment passer d’une collection de directeurs / directrices à une équipe de cadres dirigeants ?
- Une équipe projet : comment réussir à se coordonner vers un but commun alors que chaque partie prenante à un objectif individuel différent ?
Le sheep coaching peut aussi porter sur différentes thématiques qui posent question sur le moment :
- Comment partager une même vision ?
- Comment faire face à un environnement qui bouge tout le temps ?
- Comment faire pour « dé-siloter » des directions ou des services ?
- Comment réussir la fusion entre deux entités, ou l’acquisition d’une entreprise rachetée récemment ?
- Comment maintenir l’élan et l’envie en cas d’échec ou de non-réussite immédiate ?
- Que faire en cas de détérioration de la cohésion d’une équipe ?
- Comment expérimenter l’auto-organisation et la prise de décision sans leader institué ?
A quoi ressemble un atelier de sheep-coaching ?
François Vergonjeanne – Vu de l’extérieur c’est assez peu spectaculaire.
L’animateur demande simplement aux participants de se débrouiller pour faire passer un petit troupeau de brebis entre deux poteaux. Rien de bien méchant, et c’est tout à fait faisable si on se coordonne bien. En revanche, c’est infaisable si on est seul ou à deux.
Alors on voit des gens qui marchent et qui trottinent derrière un petit troupeau de brebis, lesquelles brebis essayent d’échapper aux humains. Rien de bien spectaculaire donc, sauf que quand l’équipe atteint son but, c’est magique !
On observe aussi un autre groupe de participants qui se tient derrière l’enclos et qui regarde les animaux et les humains en action. Ce sont les observateurs auxquels l’animateur a donné des consignes d’observation. Ils ne peuvent pas agir puisqu’ils ne sont pas sur le terrain, mais ils peuvent observer à partir d’angles différents. C’est ce qu’on appelle dans notre jargon une position « meta ».
Ce moment sur le terrain, n’est ni du cirque, ni une démonstration de travail d’un berger avec son troupeau. Cependant, vu de l’intérieur, si l’on regarde les ressentis, c’est une tout autre chose !
Cinaps a expérimenté le sheep coaching,
la preuve en images 😉
Que se passe t‘il sur le terrain ? Que nous révèlent ces expérimentations en milieu vivant ?
François Vergonjeanne – Dans ces ateliers de sheep coaching, les équipes ressentent immédiatement que « ça ne se passe pas comme prévu » ; que les brebis ne vont pas là où elles « devraient » aller ; que les collaborateurs ne sont pas tous au bon endroit au bon moment, pas à la bonne place.
Ça amène immédiatement les participants à réagir, à se déplacer pour gagner en efficacité. Ils mobilisent ainsi des réflexes, des habitudes qu’ils ont apprises autrefois, dans des contextes de management, de direction d’entreprise, ou dans le pilotage de projets.
Les équipes prennent conscience de plusieurs choses :
- Qu’une bonne stratégie se heurte immédiatement à la réalité sur le terrain.
« On avait imaginé faire passer les animaux par ici, mais dès le départ ils ont filé de l’autre côté ». - Qu’il faut toujours trouver sur l’instant une solution adéquate, improviser en intelligence de situation. Ça confronte à l’imprévisible et à sa capacité d’adaptation et de tolérance face à ses propres lacunes ou celles de ses collègues.
- Qu’il se passe des choses invisibles au sein des cœurs et des âmes. C’est-à-dire des émotions qui nous poussent à agir dans tel sens ou dans tel autre.
Je me souviens d’une participante qui était partie bille en tête : « allez, allez ! on y va les gars ! » Et quand elle a foncé vers les brebis, elles se sont éparpillées. Alors notre participante s’est retournée. Les « gars » n’avaient pas suivi, en tout cas n’avaient pas suivi son rythme et étaient restés en arrière. J’ai vu son visage blêmir : « c’est exactement ce qui se passe avec mes équipes », me dit-elle. « Je fonce devant et eux, ils ne suivent pas ».
Alors que cette participante était ingénieur d’une grande école, avait occupé de hauts postes dans l’industrie, c’est au contact des moutons, ces êtres vivants non-humains, qu’elle venait de prendre conscience des conséquences de son comportement.
- Que dans les systèmes vivants, donc complexes, tout n’est pas rationnel. Qu’il va falloir mobiliser son intuition pour « sentir » ce qu’il se passe. Cela demande de l’expérience mais aussi une forme d’autorisation à faire confiance à son corps. D’autorisation à dévier peut-être de la norme, celle qui est imposée ou celle qu’on s’impose à soi-même.
Ces expériences nous montrent que l’intuition, l’imagination, le passage – transgressif parfois – de règles plus ou moins édictées, sont nécessaires pour faire face aux imprévus. Et Dieu sait s’il y en a des imprévus dans les entreprises ! - On assiste à une fissuration des évidences intérieures, nos convictions, nos certitudes, nos reflexes innés, .. Cette fissure fait décoïncider ce qui était compact, évident. Elle permet que de nouvelles choses passent. Ces nouvelles choses s’appellent : prise de conscience, joie d’être là et vivant, reconsidération de certains choix de vie et priorisation pour son futur, etc.
Tu parles souvent de l’importance de mettre en mouvement le corps (vs le cerveau) face à des situations complexes pour modifier nos façons d’agir. Peux-tu nous expliquer ?
François Vergonjeanne – Le sheep coaching permet « d’incorporer » des notions telles que le leadership, l’agilité, la vision partagée. Il permet d’ancrer dans le réel ce qui relève du discours sur le management, le leadership, la prise de décision, l’agilité, la résilience, etc.
Je m’explique :
La nature, les systèmes vivants ont derrière eux 3,8 milliards d’années d’expérience en R&D. Difficile de faire mieux.
Ce que souvent dans nos entreprises nous appelons le cerveau, c’est surtout cette capacité qu’on les êtres humains à verbaliser ce qu’ils voient, ce qu’ils font, ce qu’ils ressentent.
Mais la fonction du cerveau, c’est beaucoup plus que ça.
Le cerveau analyse en permanence des milliers de données pas seconde : la température du corps, le taux de sucre dans le sang, le déséquilibre du corps lors de la marche, le rythme du cœur, ce qui se passe autour de soi, etc.
Le rôle principal du cerveau c’est de faire le tri entre les données pertinentes du moment et celles qui ne le sont pas. C’est son job ! Voilà pourquoi la plupart de nos comportements sont pilotés par une partie du cerveau dont nous n’avons pas conscience.
Ce qui se passe face au troupeau de brebis en sheep coaching, c’est que le cerveau n’a pas le temps d’analyser tous les paramètres en temps réel. Ça va trop vite ! Face à un troupeau de brebis, et avec des collègues avec qui il faut se coordonner, le cerveau analytique est saturé.
Dans ces cas-là, il va mobiliser ses compétences inconscientes. Et il ne peut s’empêcher de plaquer des concepts analytiques qui lui sont familiers, ceux qu’il a acquis ailleurs et autrefois. Et alors il commande au corps de bouger en conséquence, en fonction de ces anciennes routines, pour reprendre un vocabulaire informatique.
Mais face aux brebis, ce qui devait être une tâche simple se transforme en échec, en tout cas souvent au début de la journée : les brebis s’échappent et le but commun n’est pas atteint.
C’est là qu’arrive parfois un profond sentiment d’incompétence, d’incompréhension. Comment en est-on arrivé là ? C’est à ce moment que l’animateur intervient et propose aux participants des changements de comportements surprenants : « recommencez mais sans vous parler ! Recommencez mais sans trottiner. Recommencez en ne jouant que sur l’impulsion puis le laisser-faire, avant de recommencer avec l’impulsion, etc. »
Et là, Ô miracle, les animaux passent entre les deux piquets.
Dans ces moments, les participants comprennent que l’efficacité collective n’est pas le fruit d’un ordre ou d’une injonction à faire, mais d’une communication faite en très grande partie d’implicite et d’ajustements permanents à l’autre, à sa place, à ses ressources comme à ses manques. Mais toujours dans une intention de réussite collective. Ça oblige en permanence à être attentif à ce que font les autres.
Ce ne sont pas tant les rôles, les places, les statuts ou les stratégies définies à l’avance qui sont questionnées. Mais plutôt les relations tout à fait singulières que les individus tissent entre eux et avec les éléments de leur environnement au moment où c’est nécessaire pour atteindre le but commun.
Vient ensuite le moment du débriefing.
Après la phase d’action, suivie de la phase émotions (« hourra ! chouette ! ou gloups, qu’est ce qui s’passe ?), vient la phase de réflexion.
Il s’agit de mettre des mots, de verbaliser ce qui s’est passé durant l’action de façon à prendre conscience des mécanismes d’automatismes personnels, ou de sa propre responsabilité dans la dynamique du groupe (ma bonne place au bon moment, ou l’inverse). Et c’est là où les observateurs qui étaient restés en retrait derrière l’enclos nous font part de ce qu’ils ont vu.
Ça aide grandement à la prise de conscience.
Cette prise de conscience des conséquences de ses actes agit comme une sonnette d’alarme quand, après, dans la vraie vie en entreprise, des situations similaires se représentent. On se rappelle alors les stratégies gagnantes qu’on avait expérimenté en sheep coaching, et comment on avait agi de façon plus efficace. Attention, par « situations similaires », je n’entends pas « conduire des moutons », mais piloter un projet complexe, diriger en période d’incertitude, partager la vision et le sens de l’action, etc.
Et la journée se termine par une séquence en salle. Les participants vont extrapoler à leur métier ce qu’ils ont découvert ou appris dans la journée. Cette phase de transposition est nécessaire pour ancrer sur le papier, « encrer » devrai-je dire, ce qui a pu émerger au cours de la journée.
Quels sont les retours les plus marquants des stagiaires que tu aies pu avoir ?
François Vergonjeanne – Ça rejoint un peu la question précédente sur l’importance d’apprendre « par corps ». Beaucoup de participants nous disent qu’ils ont « appris » d’une toute autre manière ce qu’est le management, la coopération, la vision, etc.
A travers les expériences vécues en sheep coaching, les participants découvrent que pour acquérir des connaissances, il faut être capable de mobiliser des qualités sensibles et passer par la sensation corporelle de l’expérience. C’est dans ces allers-retours tout à fait personnels entre l’objet de la connaissance et le sujet en train d’apprendre que s’opère l’alchimie de la connaissance. Pour « apprendre » à piloter une équipe ou tout système vivant, il faut accepter humblement de conduire et/ou de se laisser conduire par les autres de temps en temps, sans perdre de vue le but à atteindre. Une participante m’a dit un jour « Il vaut mieux danser avec le système que de se braquer contre lui. Avec le vivant, on n’obtient rien par la force ».
- Je me souviens d’un participant, associé dans une grosse étude notariale, qui m’a dit : « j’ai plus appris sur le management en une seule journée de sheep coaching qu’en 10 ans de formation sur le management ».
- Je me souviens d’un directeur de services généraux d’une agglomération : « dorénavant je ne donnerai plus d’ordre de façon directive, ou alors en cas de risque extrême. Je vais donner mes directives et laisser-faire, après on fera le point régulièrement. Je suis trop directif, et avec des équipes intelligentes et compétentes c’est contre-productif ».
- Je me souviens d’une DRH « ok, je vais amener tous les membres de mon CODIR en sheep coaching, pour qu’ils sentent ce qu’est la coopération et la cohésion ». Et c’est ce qu’elle a fait. L’année suivante le patron est venu me remercier pour la « métamorphose » de son comité de direction.
- Un consultant m’a dit une fois : « cette journée m’a remis en question sur des concepts préfabriqués, tels que le management, le changement, la vision, l’autonomie ».
- Mais peut-être le plus marquant pour moi, ce sont les remarques personnelles de chaque participant à la fin de la journée. C’est là où je mesure à quel point le contact avec un groupe d’êtres vivants non-humains, peut avoir un pouvoir de transformation important. Les corps ne mentent pas, le langage des corps en dit plus que les discours les plus soignés. La confrontation avec l’autre (les brebis), avec l’altérité, c’est à dire l’étrangeté, l’étranger également, démontre combien cette rencontre est transformatrice de nos regards et de nos croyances intérieures.
Quel regard portes-tu sur le management d’aujourd’hui et l’évolution des organisations ? Par exemple, on n’a jamais autant parlé du besoin de cohésion dans un environnement paradoxalement de plus en plus individualiste.
François Vergonjeanne – Pour répondre à cette question, je crois qu’il est utile de replacer le management et les organisations dans une perspective historique plus large.
Le mot « management », comme celui de « projet » est un terme assez récent. Quand vous effectuez une recherche bibliographique sur les livres d’avant la seconde guerre mondiale qui portent ces mots dans leur titre, vous les comptez sur les doigts de la main. Aujourd’hui c’est par milliers.
Donc, les notions de management, d’organisations – marchandes surtout- sont plutôt récentes dans l’histoire de l’humanité. Il y a toujours eu des échanges, ça c’est impératif pour que les systèmes vivants vivent et se reproduisent. Il y a depuis des milliards d’années dans les systèmes vivants, des centres de décisions qui pilotent les organes d’actions.
Ce qui a profondément changé dans les organisations humaines depuis 200 ans, mais avec une accélération sans précédent depuis quelques dizaines d’années, c’est la financiarisation de tous nos échanges. Aujourd’hui, tout s’achète et tout se vend. Les biens comme les services, les objets comme les sujets. On vend aussi des biens qui étaient universels jusqu’alors : l’eau, l’air, le temps, etc.
Plus grave encore, c’est l’importance qu’a pris la croyance que pour être quelqu’un de bien, il faut en avoir plus que les autres. Je veux dire « plus d’argent, de biens matériels » que les autres.
Dans les systèmes vivants, un trop grand stockage de biens, de ressources alimentaires, de ressources de reproduction, est hyper coûteux en énergie. D’où l’invention par la nature des mécanismes de régulation. Le trop de ceci se transforme en cela ; ce qui stagnait ici est redistribué ailleurs. On est sur des boucles de rétroaction permanentes qui évitent l’embolie des systèmes.
Or, aujourd’hui, le drame des organisations, c’est souvent la carence de partage, l’embolisation des biens captés par quelques-uns, la difficulté à redistribuer de façon équitable.
Et le corolaire de tout ça c’est un mode de comportement de plus en plus individualiste (je bosse pour MOI), de plus en plus narcissique (je suis un WINNER !) et de plus en plus hédoniste (la facilité, la jeunesse, la beauté se vendent mieux que la vie réelle).
Alors oui, les entreprises ont du mal à lutter contre le phénomène de dé-cohésion parce que même si elles promettent monts et merveilles à leurs salariés, la réalité les rattrape. Et quand le partage des dividendes de la richesse (que ce soit de l’or ou du temps libre) se fait attendre, ceux qui ont contribué à la faire quittent le navire.
J’ai eu comme client pendant plus de 20 ans l’ONG Emmaüs. Pour eux, l’argent est nécessaire pour faire tourner la boutique, construire des logements pour les plus nécessiteux, et aider les plus démunis. Mais l’argent n’est pas le diapason de cette organisation.
Leur diapason, ce qui donne le LA, ce vers quoi tendent jour et nuit ceux qui travaillent chez Emmaüs, c’est l’accueil. L’accueil du sans abri, l’accueil de la femme qui vit dans la rue avec son enfant sous le bras, l’accueil de celui qui n’a plus où aller. Alors on lui dit : « tiens, voilà une tasse de café, voilà une serviette de toilette, un savon. Repose-toi et après on parlera. Et tu viendras bosser avec nous pour des gens qui sont dans le besoin ».Ce que je veux dire par là, c’est que si nous ne comprenons pas la nécessité du partage, la nécessité de la frugalité raisonnée, la nécessité de la coopération, nous crevons.
Aujourd’hui de plus en plus de personnes prennent conscience que l’habitabilité de la terre n’est plus une évidence. Que deviendra-t-on quand les températures auront augmenté de 1,5° ou 3°C ? Que signifiera alors le mot Entreprise ?
L’avenir de ces organisations – et donc de leur salariés – passent par la prise en compte de leur mission sociétale face aux menaces ci-dessus.
J’écoutais l’autre jour l’interview du patron d’une compagnie d’assurance. Il annonçait clairement l’orientation de son entreprise en tant qu’entreprise à mission. Avant lui, Emmanuel Faber chez Danone avait tenté de le faire, mais il s’est fait débarquer par les actionnaires.
Demain, si nous voulons continuer à vivre ensemble, et pas seulement à faire business ensemble, nous devons apprendre à reconsidérer les autres vivants qui nous entourent, et à partager.
A mon échelle, c’est à travers les ateliers de sheep coaching que je fais ma part de colibri.
François Vergonjeanne et Laetitia Tereygeol
Vous avez envie d’en savoir plus sur cet accompagnement et voir comment il peut s’intégrer dans un parcours de développement des compétences ?