Fonction connue mais trop peu valorisée et trop peu utilisée, le tutorat est vraisemblablement la meilleure manière d’accompagner le développement des compétences.
Tuteur, coach et/ou formateur ?
La question de la distinction entre les 3 fonctions est à la fois nécessaire et ambiguë. Pour nous, les 3 fonctions sont très différentes, ne serait-ce que parce que si le coach et le tuteur travaillent généralement dans une relation « one to one », le formateur, lui, travaille généralement avec des groupes. Et cette distinction est déjà lourde de conséquences dans l’approche de la pédagogie. Mais pour autant, dans la réalité, les tuteurs endossent généralement les 3 rôles : formateurs, car ils transmettent inévitablement des connaissances et des méthodes de travail ; tuteurs, car ils travaillent au développement des compétences en situation opérationnelle et coach, parce que le développement des compétences ne se limite pas aux compétences techniques mais s’étend aussi aux compétences relationnelles (savoir-être).
En définitive et pour présenter ces distinctions de manière pédagogique, nous disons souvent que le formateur transmet une expertise, que le tuteur transmet SON expérience (avec toute sa subjectivité) et que le coach, lui, ne transmet rien, il aide l’autre à déceler, analyser et résoudre des problèmes.
Tuteur : une posture spécifique
La particularité de la fonction de tuteur tient avant tout dans sa posture : il n’est pas un formateur au sens où il n’a pas, comme ce dernier, le recul nécessaire sur son expérience et ses savoirs, recul qui lui permet d’en faire des objets de connaissance à transmettre.
Le tuteur travaille dans et à partir des situations de travail. Il identifie des situations de travail formatives qu’il propose à son tutoré comme objet d’apprentissage. Le formateur lui, propose des concepts ou des méthodes que les formés mettront en œuvre plus tard, dans leur situation de travail, généralement après l’action de formation. Logique inversée donc qui indique bien que l’approche pédagogique est très différente et qu’il existe bien une pédagogie spécifique au tutorat.
Cette première définition renvoie à deux activités clefs dans les processus de tutorat : l’identification des situations de travail les plus formatives (la construction du référentiel de tutorat) et la nécessaire prise de recul sur son expérience pour la rendre transmissible. Cette activité des tuteurs implique une mise à plat du métier visé, des activités clefs et de l’expérience propre à chaque tuteur, en amont de l’acte de formation.
Au départ, le tuteur sait faire mais il ne sait pas comment il fait et surtout comment il fait bien.
Le geste professionnel étant devenu chez lui un acte réflexe. Le principal écueil est de passer à côté d’apports essentiels dans l’apprentissage au prétexte que ceux-ci apparaissent d’abord comme des évidences pour le professionnel expérimenté.
Lors d’une formation de tuteurs dans le secteur du BTP, nous faisions ce travail avec des chefs d’équipe chargés de la maintenance des bâtiments. Nous tentions d’expliciter une tâche (apparemment) simple à transmettre : « réparer ou changer une prise de courant ». Si les futurs tuteurs identifièrent rapidement la succession des tâches techniques à apprendre, l’un d’entre eux, nous alerta sur un point : pour lui la compétence dans ce domaine ne pouvait pas se résumer à la maîtrise des opérations techniques.
Un opérateur devait selon lui maîtriser 3 compétences essentielles en plus des tâches liées à la réparation :
- Anticiper et préparer le matériel et les outils adaptés à l’opération (afin d’éviter des allers retour entre le lieu de travail et l’atelier)
- Profiter de sa présence dans les lieux pour vérifier d’autres organes électriques.
- Signaler son intervention et renseigner le carnet de maintenance.
« C’est tout ce qui fait la différence entre un opérateur compétent et un « professionnel », nous affirma le chef d’équipe. Ce qui apparaissait comme une évidence aux yeux de ses collègues, ne nécessitait pas de prime abord un apprentissage à part entière.
La mise à plat des activités du travail permet de révéler, au-delà de la simple compétence technique, toute la richesse d’une simple tâche, et du même coup les compétences transversales (anticiper, préparer, avoir le sens de l’initiative, communiquer) à l’œuvre dans toute tâche. Cette mise à plat donne du même coup un sens tout différent à l’apprentissage et à la manière de le conduire. Sans cette mise à plat collective, les tuteurs seraient vraisemblablement passés à côté du «professionnalisme ».
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Faut-il rémunérer les tuteurs ?
La plupart des entreprises qui ont fait du tutorat un levier fort de développement des compétences rémunèrent leurs tuteurs, même de manière symbolique. D’autres, mais elles sont plus rares, intègrent l’activité de tuteur comme une activité incontournable du poste. Nous avons récemment accompagné un organisme public dans cette démarche. L’avantage réside dans la possibilité de mobiliser facilement des tuteurs sans dégarnir les plannings de production. L’inconvénient tient dans le manque de pratique régulière des tuteurs qui finissent par perdre les bons réflexes. Et puis tout le monde ne fait pas un bon tuteur.
Au-delà de la rémunération, c’est surtout de la disponibilité et de la formation qu’il convient d’apporter aux tuteurs.
Le rôle de tuteur suppose un accompagnement de proximité dans le face à face pédagogique, activité que nous avons évalué à 6 heures par semaine chez un de nos clients, dans les 3 premiers mois de tutorat.
Mais aussi du temps pour réaliser des bilans, des évaluations et des rencontres avec l’organisme de formation dans le cadre du tutorat alternance. Et ça n’est pas anodin dans la gestion du temps de travail des salariés tuteurs.
Enfin, dans les entreprises où les tuteurs sont nombreux, il est essentiel que des échanges réguliers leur permettent de confronter leurs pratiques et de construire ensemble des outils communs. Ces espaces de réflexion contribuent grandement à améliorer l’efficacité du tutorat. Chez un de nos clients dont le métier de base est très spécifique, le tutorat a été développé comme levier principal d’intégration et de développement des compétences. Ce choix s’explique par la particularité des outils informatiques qui n’existent que dans cette entreprise de 1000 personnes et dont la maîtrise est au cœur de la réussite de son activité. 60 tuteurs interviennent au quotidien. La gestion de cette équipe de tuteurs a nécessité la création d’un poste de responsable du tutorat en vue d’animer l’équipe des tuteurs et de la fédérer autour de pratiques communes.
Retour sur investissement ?
Le ROI du tutorat est généralement positif mais peu d’études (à notre connaissance) ont été réalisées sur ce sujet. Pourtant il est aisé à calculer. Il suffit d’évaluer le coût de la formation qu’il aurait fallu mettre en place pour développer les compétences des salariés (coût pédagogique et coût salarial) et le mettre au regard du coût du tutorat (coût salarial), en sachant que même si la solution de la formation avait été choisie, le tutorat post-formation aurait de toute façon été inévitable.
De plus, l’avantage du tutorat sur d’autres formes de développement des compétences tient dans le fait que le salarié formé est plus rapidement opérationnel et mieux intégré.
Et lorsque l’on connait le coût d’une intégration défectueuse (rupture de contrat, recrutement, gestion des conflits…) on imagine facilement la plus value engendrée par le tutorat.
A titre d’exemple, la formation des opérateurs d’un de nos clients cité dans le paragraphe précédent, aurait été 4 fois supérieure au coût du tutorat. Avec une efficacité accrue le tutorat s’est avéré au fil du temps la formule la plus efficiente, puisque 95% des personnes tutorées sont fidélisées et opérationnelles à leur poste, à l’issue du parcours de tutorat.
Ajoutons à cela que le rôle de tuteur renforce très souvent la motivation des collaborateurs qui se sentent valorisés lorsque cette mission leur est confiée et qui s’y investissent souvent avec passion et plaisir. Et le plaisir n’a pas de prix.