Lorsque l’on consulte les différentes enquêtes sur la qualité de vie au travail, on note que toutes convergent vers un même point : les salariés sont très souvent insatisfaits de la reconnaissance de leur travail et de leurs efforts. Après la surcharge de travail, le manque de reconnaissance est le deuxième facteur cité comme cause du désengagement et de la souffrance au travail.
S’il est démontré aujourd’hui que la reconnaissance au travail est un levier fort de la motivation et de l’engagement, certains vont même jusqu’à dire qu’il est un levier de performance, il est tout aussi vrai que les manifestations concrètes de cette reconnaissance se limitent souvent, de la part des managers, à la valorisation verbale des bons résultats.
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Hervé est en entretien individuel avec son manager Guillaume. Hervé a particulièrement bien géré un projet important pour le service, dans un contexte difficile. Guillaume, lui, a récemment appris lors d’une formation l’importance de la reconnaissance pour la motivation de ses collaborateurs.
« Je te remercie pour ces excellents résultats Hervé, bravo tu t’es vraiment bien débrouillé sur ce projet, les résultats l’attestent ».
Guillaume est content d’avoir pu manifester sa reconnaissance à son collaborateur mais il sent qu’Hervé n’est pas très sensible à ses propos.
« Merci pour le compliment Guillaume, lui rétorque Hervé, mais j’aurais aimé que tu me facilites la vie en intervenant auprès du service financier pour débloquer le budget plus tôt. Nous aurions gagné du temps et nous aurions pu optimiser les résultats. Je t’avais alerté sur ce sujet dès le début du projet, à savoir que sans budget de départ l’opération serait difficile. Ça n’a pas été simple pour moi de mener ce projet dans ces conditions ».
« Oui je sais répond Guillaume, mais au final c’est une réussite, on est aux objectifs… Vois le côté positif des choses ».
Que se passe-t-il dans cet échange ?
Guillaume reconnait et valorise les bons résultats de son collaborateur. Mais il est centré exclusivement sur les résultats. Il ne manifeste aucune reconnaissance sur les conditions d’obtention de ses résultats. En d’autres termes Guillaume reconnait les résultats mais pas l’effort particulier de son collaborateur.
Hervé est donc frustré car ce qu’il aimerait, c’est que son manager reconnaisse aussi son engagement, sa ténacité et les difficultés qu’il a rencontrées. Il aimerait aussi que son manager reconnaisse qu’il a manqué de réactivité et de réalisme au sujet du budget.
La reconnaissance n’est pas uniquement la capacité à valoriser les bons résultats. Elle implique de valoriser aussi la manière de les obtenir (engagement, effort, capacité à surmonter les obstacles…). Ce que Guillaume a oublié.
En passant sous silence son manque de réactivité à propos du budget, Guillaume ne reconnait pas qu’il est aussi à l’origine des difficultés de son collaborateur. En d’autres termes, Guillaume n’a pas reconnu comme légitime le besoin de son collaborateur à propos du budget. Manifester de la reconnaissance passe aussi par la capacité à reconnaître les besoins et les difficultés d’un collaborateur.
La reconnaissance « a posteriori »
Selon Jean-Pierre Brun, professeur à l’Université de Laval au Canada et spécialiste de la question, il existe 4 niveaux de reconnaissance :
La reconnaissance existentielle
La reconnaissance de la pratique de travail
La reconnaissance de l’investissement
La reconnaissance des résultats
Force est de constater que les entreprises et leurs managers reconnaissent généralement les résultats et, rarement, les trois autres dimensions.
La reconnaissance existentielle : elle est centrée sur la personne.
Elle se manifeste par tous les gestes au quotidien du manager qui marque l’intérêt qu’il porte à ses collaborateurs. Du simple « bonjour » du matin à la capacité à s’intéresser à la personne du collaborateur et à mieux le connaitre. Mais c’est aussi l’accessibilité et la disponibilité dont il fait preuve en prenant le temps de rencontrer et d’écouter ses collaborateurs. C’est aussi la capacité à reconnaître les compétences du collaborateur en lui confiant des missions en lien avec son expertise.
La reconnaissance de la pratique de travail : elle est centrée sur le processus de travail
C’est la capacité d’un manager à reconnaître et à valoriser « la manière de faire ». Non seulement le collaborateur est aux objectifs, mais en plus, il fait preuve de réactivité, de souplesse, de créativité. Il sait surmonter les obstacles et conduire la mission en préservant la bonne entente dans l’équipe.
Toute chose que la reconnaissance centrée sur les résultats ne met généralement pas en avant.
La reconnaissance de l’investissement : elle est centrée sur le processus de travail
Pour un même niveau d’objectif, certains collaborateurs vont mobiliser plus d’investissement que d’autre. C’est la reconnaissance de l’effort. Il est essentiel lorsque, par exemple, un débutant réussit dans une activité qu’il mène pour la première fois.
« Les organisations demandent de plus en plus à leur collaborateur de se donner non plus à 100% mais à 150%. Les collaborateurs font beaucoup d’efforts et s’attendent à être reconnus à la hauteur de ceux-ci, peu importe le résultat » souligne Jean-Pierre Brun.
La reconnaissance des résultats : elle est centrée sur les résultats du travail
C’est le mode de reconnaissance le plus souvent pratiqué. Or les résultats n’arrivent pas par magie. Un bon résultat est la conséquence de la mobilisation de toute une série de choses que sont l’expertise, les bonnes pratiques, les bons comportements, la ténacité, l’effort…
Au final, ce ne sont pas les résultats qu’il conviendrait de reconnaître car, du point de vue psychologique la reconnaissance des résultats ne procure que peu de satisfaction car ils sont connus du manager et du collaborateur. Le cadeau ne coûte pas grand-chose.
En revanche la reconnaissance de l’investissement, des efforts, de la bonne manière de faire impacte plus durablement la motivation car ce qui est reconnu c’est la spécificité du collaborateur. Le cadeau est d’un prix plus élevé pour le manager mais l’effet est plus puissant. Pourquoi des salariés qui reçoivent régulièrement des primes sur objectifs ont-ils toujours le sentiment de n’être pas reconnus ?
Les 4 niveaux de reconnaissance de Jean-Pierre Brun s’attardent sur ce que nous appellerons la reconnaissance « a posteriori », c’est-à-dire la reconnaissance manifestée après que l’action ait eu lieu.
Or la reconnaissance, ou le manque de reconnaissance, s’étend plus largement au-delà de la reconnaissance « a posteriori ».
La reconnaissance « a priori »
1- La reconnaissance des difficultés et des contraintes. Trop souvent, les collaborateurs se heurtent à une absence d’écoute de la part de leur direction ou de leur manager dès lors qu’ils évoquent les possibles difficultés ou contraintes d’une action. Ils ne sont pas crus ou leurs arguments sont considérés comme une manifestation de leur manque d’enthousiasme et de motivation. Ce manque de prise en compte des difficultés possibles est la marque d’une absence de reconnaissance des capacités d’un collaborateur à analyser lucidement et de manière pragmatique les risques associés à une action. C’est un manque de considération de l’intelligence du collaborateur. Elle est psychologiquement plus destructrice que le manque de reconnaissance « a posteriori ».
2- La reconnaissance des besoins. De la même manière, l’absence de considération des besoins d’un collaborateur est une autre forme de déni de son intelligence et de sa capacité d’analyse d’une situation. Elle se manifeste lorsque les managers refusent d’entendre les besoins des collaborateurs et les traitent avec désinvolture. Comme pour le manque de reconnaissance des difficultés, le manque de reconnaissance des besoins conduit à des attitudes passives et à la perte de motivation, beaucoup plus sûrement que le manque de reconnaissance « a posteriori ».
3- La reconnaissance des idées et des propositions. Les collaborateurs ont des idées et veulent souvent être impliqués, consultés et écoutés. Reconnaître les idées des collaborateurs, les accepter est une marque de reconnaissance forte. Cette marque de reconnaissance confère aux salariés le statut d’acteur à part entière de l’organisation. L’absence de reconnaissance des idées et des propositions des collaborateurs les conduit le plus souvent à du désengagement.
Si la reconnaissance « a posteriori » reste un levier de motivation important, nous considérons qu’elle est totalement inopérante lorsque la reconnaissance « à priori » n’existe pas ou peu.
C’est ce qui se passe dans la relation entre Hervé et son manager Guillaume. Le manager a beau valoriser les bons résultats, il a manqué une reconnaissance « a priori » des difficultés du projet et des besoins du collaborateur. Guillaume aura du mal à rattraper le coup s’il n’apprend pas à étendre les manifestations de sa reconnaissance.
Dans un contexte de réduction des évolutions salariales et de la mobilité verticale, la reconnaissance peut jouer un rôle essentiel dans la mobilisation et l’engagement des équipes. Les managers auraient tout à gagner à étendre le registre de leur marques de reconnaissance car au final, ce sont des choses simples que les collaborateurs attendent de leur manager : de la présence, de la disponibilité, de l’écoute de leur difficultés, de leurs besoins et de leurs idées.